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violence se fait ordinairement avec des hommes rassemblés et armés ; si elle est faite d’une autre manière et avec le même danger pour ma vie, ils ont voulu qu’elle fût jugée par la même règle. Car ce n’est point pour moi une plus grande injure d’être chassé par tous vos esclaves, et non simplement par le fermier de vos terres ; par vos propres esclaves, et non par des esclaves d’emprunt que l’on paye ; par votre fondé de pouvoir, et non par votre voisin ou par votre affranchi ; par des hommes rassemblés, et non par des hommes venus d’eux-mêmes, ou par vos ouvriers de journée ; par des homme armés, et non par des hommes désarmés, mais ayant les mêmes facilités pour nuire ; par plusieurs, et non par un seul. L’ordonnance indique les moyens ordinaires avec lesquels se fait une violence ; si elle s’est faite par d’autres moyens, quoique non comprise dans la lettre de l’ordonnance, elle se trouve cependant renfermée dans l’esprit et dans l’intention de la loi.

XXIII. Je passe maintenant à votre défense principale : Je ne l’ai point chassé, puisque je ne lui ai point permis d’approcher. Sans doute, Pison, vous voyez vous-même combien cette défense est plus faible et moins recevable que cette autre : Ils n’étaient pas armés, ils n’avaient que des pierres et des bâtons. Certes, si moi, qui n’ai pas, à beaucoup près, toutes les ressources de la parole, j’avais le choix de soutenir, ou que celui-là n’a pas été chassé à qui on s’est présenté avec des armes et dans l’intention de faire violence, ou que ceux-là n’étaient pas armés qui étaient sans épées et sans boucliers ; je trouverais l’une et l’autre proposition également insoutenable et puérile ; mais dans l’une des deux, ce me semble, je pourrais trouver quelque chose à dire, en essayant de montrer que ceux-là n’étaient pas armés, qui n’avaient ni épée ni bouclier ; au lieu que je serais grandement embarrassé s’il me fallait soutenir que celui-là n’a pas été chassé, qui a été repoussé et mis en fuite.

Ce qui m’a le plus surpris dans tout votre plaidoyer, c’est que vous ayez dit qu’on ne devait pas suivre l’autorité des jurisconsultes. Ce n’est point pour la première fois, et seulement dans cette cause, que j’ai entendu parler de la sorte ; mais vous, je ne savais pourquoi vous teniez ce langage. Ordinairement on n’a recours à ce moyen que quand on croit pouvoir défendre l’équité naturelle contre les décisions de la jurisprudence. Si l’on rencontre des hommes qui disputent sur les mots et les syllabes, et, comme on dit, dans la rigueur de la lettre, on oppose à ces discussions de mauvaise foi les principes sacrés de l’équité et de la justice. Alors on se moque de toutes ces formes de la chicane ; alors on tâche de rendre odieux les piéges tendus à la simplicité par des disputes sur les syllabes et sur les mots ; alors on soutient avec chaleur que les causes doivent être jugées d’après ce qui est juste et équitable, et non d’après de subtiles et captieuses interprétations ; qu’il est d’un plaideur de mauvaise foi de s’attacher aux paroles ; qu’un bon juge doit défendre l’intention et le sentiment de celui qui les a écrites. Mais ici, lorsque c’est vous-même qui vous défendez par des mots et des syllabes, lorsque vous nous opposez ce raisonnement : « D’où avez-vous été chassé ? est-ce d’un lieu où l’on ne vous a point permis d’approcher ? dans ce cas, vous avez été repoussé et non chassé ; » lorsque vous venez nous dire : « J’en conviens, je l’avoue ; j’ai rassemblé des hommes, je les ai armés ; je vous ai menacé de la mort ; je dois être puni en vertu de l’ordonnance prétorienne, si l’on examine l’intention et le droit ; mais je trouve dans l’ordonnance un mot sous le-