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seulement m’eût chassé, ce ne serait pas, sans doute, vos esclaves qui m’auraient chassé, mais un de vos esclaves. Seriez-vous donc en droit de dire que vous n’êtes point dans le cas de l’ordonnance ? Oui, assurément. Car est-il rien de plus facile que de prouver à ceux qui savent notre langue, qu’on ne saurait appeler des esclaves un seul esclave ? Supposons même que vous n’ayez pas d’autre esclave que celui qui m’a chassé, vous direz encore plus haut : Si j’ai des esclaves, j’avoue que vous avez été chassé par mes esclaves. Et il n’est pas douteux que si nous jugeons d’après le mot, et non d’après la chose, on doit entendre par esclaves au pluriel plusieurs esclaves, et qu’un seul homme ne fait pas plusieurs. Le mot, du moins, porte à penser ainsi ; il y force même. Mais le fond du droit, l’esprit de l’ordonnance des préteurs, l’opinion et les lumières de personnages éclairés, n’admettent point cette défense, et la rejettent avec mépris.

XX. Quoi donc ! est-ce que nos magistrats ne savent point parler notre langue ? Oui, et autant qu’il faut pour faire connaître la volonté des législateurs, puisqu’ils ont eu intention que vous me rétablissiez, soit que vous m’ayez chassé vous-même, ou quelqu’un des vôtres, esclaves ou amis ; ils n’ont pas spécifié le nombre d’esclaves, mais ils ont dit en général vos esclaves. Ils ont appelé du nom de PROCURATEUR FONDÉ tout homme libre. Ce n’est pas que tous ceux que nous avons chargés de quelque commission soient ou puissent être appelés nos procurateurs fondés : mais en cela ils n’ont pas voulu qu’on subtilisât sur les termes, quand on connaissait l’esprit de l’ordonnance. La chose au fond est toujours la même, soit qu’il s’agisse d’un esclave ou de plusieurs, elle ne change point dans le cas où j’aurais été chassé par votre procureur fondé proprement dit, par un homme chargé d’administrer toute la fortune d’un citoyen qui n’est pas en Italie, qui est absent pour les affaires de la république ; par un maître substitué, à qui le vrai maître a remis tous ses droits ; ou par votre fermier, par votre voisin, par votre client, par votre affranchi, par tout autre qui se sera chargé de cette violence à votre prière ou en votre nom. Si donc, pour rétablir celui qui s’est vu chassé par la violence, la chose au fond est toujours la même ; la chose une fois connue, il importe peu quelle est la signification des mots et des termes. Si j’ai été chassé par votre affranchi, par quelqu’un qui n’est chargé d’aucune de vos affaires, vous ne me rétablirez pas moins que si je l’avais été par votre procureur fondé proprement dit. Ce n’est pas que tous ceux que nous avons chargés de quelque commission soient des procureurs fondés, mais c’est qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le mot. Vous ne me rétablirez pas moins si j’ai été chassé par un seul de vos esclaves, que si je l’avais été par tous vos esclaves ensemble : ce n’est pas qu’un seul esclave soit plusieurs esclaves, mais c’est qu’on examine l’action, et non les paroles. Et pour m’éloigner encore plus des mots, sans m’écarter de la chose, quand il n’y aurait eu aucun esclave à vous, quand ce seraient les esclaves d’un autre dont vous auriez payé les bras, ils seront regardés comme étant vos esclaves.

XXI. Continuons d’examiner l’ordonnance : AVEC DES HOMMES RASSEMBLÉS, dit-elle. Quand vous ne les auriez pas rassemblés, qu’ils seraient venus d’eux-mêmes, c’est assurément rassembler des hommes, que de les réunir ; et ceux qu’on a réunis dans le même lieu ont été vraiment rassemblés. Que s’ils ne sont pas même venus, s’ils étaient