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soupçon de péril a causé leur déroute ; si nous savons, pour l’avoir vu ou pour l’avoir ouï dire, que des troupes nombreuses ont été repoussées, non seulement par le conflit des boucliers et le choc des corps, non seulement par les coups portés de près ou de loin, mais souvent par le seul cri des soldats, par l’ordre de bataille et l’aspect des étendards : ce qu’on appelle force et violence dans la guerre, n’aura point ce nom dans la paix ! ce qui paraît grave dans des opérations militaires, sera jugé peu de chose dans le droit civil ! ce qui fait impression sur des troupes aguerries, n’en fera aucune sur un petit nombre de témoins pacifiques ! la violence sera dénoncée par les blessures du corps plus que par la frayeur de l’âme ! et l’on exigera qu’il y ait eu des blessures, quand il est certain qu’il y aura eu fuite et déroute ! Un de vos témoins a dit que la crainte ayant saisi ceux qui accompagnaient Cécina, il leur avait montré un endroit par où ils pouvaient échapper. Des hommes qui cherchaient non seulement à prendre la fuite, mais un chemin sûr pour s’enfuir, on trouvera qu’ils n’ont pas essuyé de violence ? pourquoi donc fuyaient-ils ? —Par crainte. — Mais que craignaient-ils ? la violence, sans doute. Pouvez-vous donc nier les principes quand vous accordez les conséquences ? Vous avouez qu’ils étaient effrayés, qu’ils ont fui ; vous convenez que la raison de leur fuite est celle que nous savons tous, les armes, une multitude rassemblée, l’irruption et l’attaque de gens armés où vous convenez de ces faits, vous nierez qu’il y ait eu violence ?

XVI. C’est un ancien usage, confirmé par l’exemple de nos ancêtres et pratiqué dans plusieurs occasions : lorsque, dans un cas de violence légale, l’une des parties aperçoit, même de loin, des gens armés, elle se retire dès que les témoins ont signé, et peut attaquer la partie adverse en justice COMME AYANT USÉ DE VIOLENCE CONTRE L’ORDONNANCE DU PRÉTEUR. Comment ! savoir qu’il y avait des gens armés suffit pour prouver qu’il y a eu violence, et tomber dans leurs mains ne suffit pas ! la vue des gens armés pourra démontrer la violence ; l’irruption et l’attaque ne le pourront point ! celui qui se sera retiré prouvera plus facilement qu’on lui a fait violence, que celui qui aura été mis en fuite ? Pour moi, je dis plus : si, dès qu’Ébutius seul dit à Cécina, dans le château, qu’il avait rassemblé et armé des hommes, et qu’il lui arriverait malheur s’il approchait, celui-ci se fût retiré d’abord ; vous auriez prononcé, sans hésiter, qu’on avait fait violence à Cécina : s’il se fût retiré dès qu’il eut aperçu de loin des gens armés, vous l’auriez prononcé bien plus encore ; car il y a violence toutes les fois que par la crainte on nous force de nous retirer d’un lieu, ou qu’on nous empêche d’en approcher. En décidant autrement, prenez garde de décider qu’on n’a pas fait violence à quiconque s’est retiré avec la vie sauve ; prenez garde de nous prescrire à tous, comme une règle, dans les démêlés pour des possessions, d’en venir aux mains et de combattre avec les armes. Dans la guerre, les généraux font subir une peine aux lâches : prenez garde que de même, dans les tribunaux, ceux qui ont fui soient traités moins favorablement que ceux qui ont combattu jusqu’au bout. Lorsque, dans une discussion de droit et dans des contestations juridiques entre particuliers, nous parlons de violence, on doit entendre la plus légère. J’ai vu des gens armés, quoique en petit nombre ; c’est une grande violence. Je me suis retiré, effrayé par les armes d’un seul homme ; c’est avoir été repoussé et chassé. Si vous le décidez ainsi, par la suite on ne voudra jamais, dans un démêlé pour des possessions, engager un combat, ni