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enfin qui seul a échappé à leurs mains ensanglantées.

Mais pour mieux vous faire sentir toute l’horreur de leurs attentats trop faiblement retracés par mes expressions, je vais entrer dans le détail des faits, et les exposer tels qu’ils se sont passés. Il vous sera plus facile alors de connaître les malheurs du plus innocent des hommes, l’audace de nos adversaires, et l’état déplorable de la république.

VI. Sextus Roscius, père du jeune homme que je défends, et citoyen de la ville municipale d’Amérie, était, par sa naissance, par son rang et sa fortune, le premier de sa ville et même de tous les pays d’alentour. Ses liaisons avec les plus illustres familles ajoutaient encore à sa considération personnelle. Hôte des Métellus, des Servilius et des Scipions, il fut même admis dans leur société la plus intime. Aussi l’amitié de ces grands citoyens est-elle le seul bien que le fils ait recueilli d’un si riche héritage. Lorsque des brigands domestiques possèdent le patrimoine dont ils l’ont dépouillé, son honneur et sa vie sont défendus par les amis et les hôtes de son père.

Roscius avait toujours été attaché au parti de la noblesse, et lorsque, dans nos derniers troubles, les privilèges et la vie des nobles furent également menacés, il soutint leur cause de tout son pouvoir et de tout son crédit. Nul autre, dans cette portion de l’Italie, ne la servit avec plus d’ardeur. Il se faisait un devoir de combattre pour la prééminence d’un ordre dont l’éclat rejaillissait sur lui-même. Après que la victoire eut été décidée et qu’on eut quitté les armes, ceux qu’on soupçonnait d’avoir été du parti contraire, étaient proscrits et arrêtés dans tous les pays. Cependant Roscius vivait habituellement à Rome : chaque jour il se montrait dans le forum, aux yeux de tous ; et loin qu’il craignît rien de la vengeance des nobles, on le voyait triompher de leurs succès.

D’anciennes inimitiés existaient entre lui et deux autres Roscius de la même ville d’Amérie. L’un d’eux est assis, en ce moment, sur le banc des accusateurs. On dit que l’autre possède trois des terres de celui que je défends. Si les précautions de Roscius avaient pu égaler ses craintes, il vivrait. Et en effet, il avait des raisons pour craindre ; car voici quels hommes sont les Roscius. L’un, qu’on a surnommé Capiton, est un vieux gladiateur, fameux par des exploits sans nombre. Celui que vous voyez devant vous, et qu’on appelle le Grand, a reçu, dans ces derniers temps, des leçons de ce terrible spadassin. Avant ce combat, ce n’était encore qu’un écolier ; bientôt le disciple a surpassé le maître en scélératesse et en audace.

VII. Sextus Roscius, revenant de dîner, fut tué près des bains du mont Palatin. Ce jour-là son fils était dans Amérie ; Titus Roscius était à Rome. Le jeune Sextus ne quittait jamais ses champs, où, conformément à la volonté de son père, il se livrait à l’administration domestique et rurale. Titus, au contraire, vivait constamment à Rome. C’en est assez, je crois pour diriger le soupçon. Mais si l’exposition des faits ne