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pour le dernier, sénateur du peuple romain, la gloire de cet ordre, l’honneur et l’ornement des tribunaux, le modèle de l’antique sévérité, c’est Fidiculanius Falcula. Il avait montré d’abord beaucoup de véhémence et de chaleur ; non seulement il était disposé à nuire à Cécina par son parjure, il paraissait même irrité contre moi : je l’ai rendu si doux et si paisible, qu’il n’osa pas dire une seconde fois, ainsi que vous vous le rappelez, de combien de milles sa terre était éloignée de Rome ; car ayant dit qu’elle était bien à cinquante-trois milles, le peuple se mit à crier en riant que c’était justement le compte. Tout le monde se rappelait qu’il avait reçu autant de sesterces dans le jugement d’Oppianicus. Que dirai-je contre lui, sinon ce qu’il ne peut nier ? qu’il a pris séance dans un tribunal où l’on jugeait une cause publique, n’étant pas membre de ce tribunal ; que là IL A PRONONCÉ, quoiqu’il n’eût pas entendu la cause, et qu’il pût la renvoyer à un plus ample informé ; qu’ayant voulu juger d’une affaire qui lui était inconnue, il a mieux aimé condamner qu’absoudre ; que l’accusé ne pouvant être condamné, s’il y avait une voix de moins, il était venu, non pour examiner la cause, mais pour consommer la condamnation. Peut-on rien alléguer de plus fort contre un juge, que de dire qu’on l’a engagé, par argent, à condamner un homme qu’il n’avait jamais vu, dont il n’avait jamais entendu parler ? Quel reproche peut être mieux fondé que celui qu’on n’essaye pas même de détruire par un signe de tête ? quoiqu’il en soit, Falcula a voulu nous apprendre que, lorsqu’on plaidait la cause, et que les autres témoins déposaient, il avait l’esprit ailleurs, et songeait dans ce moment à quelque accusé ; car seul il a dit qu’il n’y avait pas de gens armés avec Ébutius, quoique les autres témoins, avant lui, eussent déposé qu’il y en avait un grand nombre. Je crus d’abord, qu’en homme habile, il sentait à merveille ce que demandait la cause, et que seulement il se trompait en ce qu’il infirmait le témoignage de tous ceux qui avaient déposé avant lui, lorsque, tout à coup, Vétilius se montrant aussi peu sensé qu’il a coutume de l’être, déclara qu’il n’y avait que ses esclaves qui fussent armés.

XI. Que dire d’Ébutius ? ne lui permettrons-nous pas de s’avouer le plus insensé des hommes, pour se défendre d’en être le plus scélérat ? Est-ce que vous n’ajoutiez pas foi, magistrats, à toutes ces dépositions, quand vous avez renvoyé l’affaire à un plus ample informé ? Mais il était incontestable que les témoins déposaient suivant la vérité. Une multitude d’hommes rassemblés, des armes, des traits, la crainte pressante de la mort, le péril évident du massacre, vous laissaient-ils des doutes de la violence dont se plaint Cécina ? Où donc trouvera-t-on de la violence si on n’en trouve point là ! Ceci vous a-t-il paru une belle défense : Je n’ai pas chassé, j’ai empêché qu’on n’entrât. Je ne vous ai point permis d’entrer sur le terrain en litige ; je vous ai opposé des gens armés, afin de vous apprendre que, si vous y mettiez le pied, vous péririez sur-le-champ. Comment Ébutius, quand on a été effrayé, repoussé, mis en fuite par des armes, vous trouvez qu’on n’a pas été chassé ? Nous examinerons ensuite le mot, établissons maintenant le fait, que ne nient pas nos adversaires, et voyons si, d’après les faits, on peut avoir action.