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dommage, et que souvent il est jugé à l’amiable ; l’autre est de la plus grande importance, parce que les intérêts sont plus sérieux, et qu’il demande non la médiation d’un ami, mais l’inflexible sévérité et l’autorité d’un juge. Toutefois, par un abus funeste, l’objet le plus important, et pour lequel surtout les tribunaux sont établis, est traité avec une extrême mollesse. Oui, lorsqu’on devrait juger une affaire avec d’autant plus d’activité et de promptitude qu’elle est plus déshonorante, on juge avec la plus grande lenteur celle où la réputation d’une des deux parties est intéressée.

III. Or convient-il que la raison même qui a fait établir les tribunaux, en retarde la marche ? Quelqu’un manque-t-il de remplir l’objet pour lequel il s’est rendu caution ; encore qu’il ne soit engagé que par une simple parole, les juges le condamnent sur-le-champ sans aucun scrupule et celui qui en a trompé un autre dans une tutelle, dans une société, dans une commission dont on le charge, dans un fidéicommis, sera puni moins promptement, parce que le délit est plus grave ? La sentence, dira-t-on, serait diffamante ; mais l’action l’est-elle moins ? Voyez donc quelle injustice ! une action révoltante entraîne le déshonneur ; et parce qu’un homme s’est déshonoré, on ne veut pas qu’il subisse son infamie. Si un juge, ou un juge-commissaire, me dit : « Mais vous pouviez vous pourvoir d’une manière plus modérée ; vous pouviez obtenir votre droit par une voie plus douce et plus facile : ainsi, prenez une autre marche, ou ne me pressez pas de juger ; » ce juge me paraîtra ou plus timide que ne doit l’être un homme ferme, ou plus prévenu que ne doit l’être un juge impartial, s’il me prescrit la manière de poursuivre mon droit, ou s’il n’ose pas juger lui-même le délit soumis à son jugement. Car si le préteur, qui donne les juges, ne prescrit jamais au demandeur la sorte d’action dont il doit faire usage, voyez combien il est injuste, lorsque la forme de jugement est réglée, qu’un juge examine la procédure qu’on a pu ou qu’on peut suivre, et non celle qu’on a suivie. Cependant, magistrats, nous nous prêterions à votre excessive indulgence pour Ébutius, si nous pouvions recouvrer nos droits d’une autre manière. Mais quelqu’un de vous croit-il qu’on doive négliger de poursuivre une violence faite avec des gens armés, ou peut-il nous indiquer une voie plus douce pour en tirer réparation ? Dans un délit pour lequel, comme le disent nos adversaires, on a établi des procès criminels, des procès capitaux, pouvez-vous nous taxer de dureté ; lorsque, jusqu’à présent, nous n’avons fait que revendiquer notre possession, en vertu de l’ordonnance du préteur ?

IV. Mais soit que le péril qui menace la réputation d’Ébutius, soit que l’embarras d’un droit obscur aient occasionné vos lenteurs jusqu’à ce jour, vous avez écarté vous-mêmes le premier obstacle en différant souvent de prononcer ; je me flatte de détruire aujourd’hui le second, et je ferai en sorte qu’il ne vous reste plus de doute sur notre démêlé particulier et sur le droit général. Et si, par hasard je vous parais reprendre les choses de plus haut que ne le demandent la nature de la cause et le point de droit dont il est question, je vous prie de me le pardonner, car autant Cécina craindrait de ne pas obtenir un