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monuments de la victoire et les ornements du temple en ont totalement disparu : et vous, arbitres et témoins des délibérations les plus importantes, des conseils publics, des lois et des jugements, vous, placés dans le lieu le plus fréquenté de Rome, Castor et Pollux, dont le temple a été l’objet des plus affreux brigandages : vous tous, dieux, qui, sur vos litières sacrées, venez donner le signal des jeux solennels, et dont la route, préparée pour cette marche religieuse, a été construite sous la direction de cet homme, aux dépens des citoyens et au profit de son avarice ;

Cérès et Proserpine, dont le culte, selon la tradition des siècles, est enveloppé de mystères impénétrables ; vous que l’on dit avoir enseigné aux nations les principes de la civilisation, les bienfaits de l’agriculture, les lois, les mœurs et les sentiments de la douce humanité ; vous, dont les sacrifices transmis par les Grecs au peuple romain sont célébrés à Rome, par l’État et par toutes les familles, avec une telle piété, qu’ils semblent avoir été institués chez nous et communiqués par nous aux autres nations ; vous, que le seul Verrès a tellement outragées et profanées, qu’il a fait arracher du sanctuaire une statue qu’aucun homme ne pouvait toucher ni même regarder sans crime, et enlever d’Enna une autre statue d’une beauté si parfaite, qu’en la voyant, on croyait voir Cérès elle-même, ou l’image de la déesse descendue du ciel, et non pas travaillée par la main d’un mortel ;

Je vous atteste et vous implore, vous surtout, déesses vénérables, qui habitez les fontaines et les bois d’Enna, qui présidez à toute la Sicile, dont la défense m’a été confiée ; vous qui, pour avoir découvert et distribué par tout l’univers les plus utiles productions de la terre, avez mérité les hommages religieux de toutes les nations : vous tous enfin, dieux et déesses, que j’atteste et que j’implore aussi, vous à qui son audace et sa fureur ont toujours déclaré une guerre impie et sacrilège : si, en appelant sur cet accusé la sévérité des lois, je n’ai considéré que le salut des alliés, la dignité du peuple romain, mon devoir ; si tous mes soins, si toutes mes veilles et toutes mes pensées n’ont eu pour objet que la justice et la vérité, faites que les juges, en prononçant l’arrêt, soient animés du même sentiment d’honneur et de probité qui m’inspirait moi-même lorsque j’ai entrepris et défendu cette cause ;

Et vous, juges, si la scélératesse, l’audace, la perfidie, la débauche, l’avarice, la cruauté de Verrès, sont des crimes sans exemple, que votre arrêt lui fasse subir le sort que mérite une vie souillée de tant de forfaits : que la république et ma conscience ne m’imposent plus un devoir aussi rigoureux, et qu’il me soit permis désormais de défendre les bons citoyens, sans être réduit à la nécessité d’accuser les méchants.