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nos et sæpe alias, et adolescentes, contra L. Sullæ dominantis opes pro S. Roscio Amerino fecimus ; quæ, ut scis, exstat oratio. ( De Officiis, II, 14.)

Le Discours se divise en trois parties.

Dans la première, l’orateur justifie le jeune Roscius, et réfute dans le plus grand détail les allégations d’Érucius, qui portait la parole au nom de Roscius et de Chrysogonus. Il prouve que son client n’a pu avoir la volonté ni les moyens d’exécuter le crime exécrable dont on l’accuse. On peut dire qu’il porte la preuve jusqu’à la démonstration. C’est dans cette partie que se trouve cette description du supplice des parricides, qui excita les plus vives acclamations, mais que, depuis, l’orateur a condamnée lui-même comme une composition de jeune homme, qu’on n’excuserait pas dans la maturité.

Dans la seconde, il attaque directement les deux Roscius. S’il faut chercher les vrais coupables, leur caractère connu, la conduite qu’ils ont tenue après la mort de leur parent, et leur association avec Chrysogonus pour s’assurer une partie de la dépouille de Roscius, les dénoncent comme auteurs du crime dont ils ont recueilli le fruit.

La troisième partie est toute dirigée contre Chrysogonus. L’orateur attaque l’illégalité de la vente des biens, fondée sur ce que cette vente a eu lieu quatre mois après l’expiration de la loi. Il va même jusqu’à soupçonner qu’elle n’a pas eu lieu. Il exhale son indignation contre le luxe et l’insolence de cet affranchi ; et tout plein des malheurs publics, il en retrace le tableau avec une énergie et une hardiesse qui ne font pas moins honneur à son caractère qu’à son talent. Il abandonne un moment la cause de Roscius pour parler au nom de tous ses concitoyens, et réclamer leurs droits et ceux de l’humanité.

Il revient encore sur ce sujet à la fin de sa péroraison ; il fait considérer aux juges que le but des accusateurs, en poursuivant Roscius, est de s’établir un droit pour détruire les enfants des proscrits. Ce serait une proscription nouvelle, pire que la première : c’est aux tribunaux à mettre un frein à ce système de cruauté, qui a si étrangement dénaturé le caractère des Romains, et tout à fait effacé les principes et les mœurs de leurs ancêtres. Cette cause fut plaidée l’an de Rome 673. L’accusé fut absous, si l’on en juge par la manière dont Cicéron lui-même parle de ce Discours ( Brut., cap. 90 ; de Off., II, 14 ), et par ces mots de Plutarque, Vie de Cicéron, chap. 3 : Ἀναδεξάμενος οὖν τὴν συνηγόριαν, καὶ κατορθώσας, ἐθαυμάσθη. Mais rien ne semble prouver que le jeune Roscius soit rentré dans les biens de son père.

Cicéron avait alors vingt-six ans et quelques mois. Il était né le 3 janvier 647.

N. B. Pour éviter toute confusion, Sextus Roscius, le père, sera désigné dans le Discours par le nom de Roscius, et le fils, par le nom de Sextus.


I. Juges, vous êtes étonnés sans doute que, dans un moment où les plus éloquents et les plus nobles citoyens gardent le silence, je prenne la parole, moi, qui pour l’âge, le talent et l’autorité, ne pourrais nullement être comparé à ceux que vous voyez assis devant ce tribunal. Ces hommes respectables, dont la présence sert de soutien à ma cause, pensent tous qu’il faut rompre la trame ourdie par une scélératesse qui n’eut jamais d’exemple ; mais ils n’osent, dans le malheur des temps, élever eux-mêmes la voix pour confondre le crime. Ils se présentent, amenés par le devoir ; ils se taisent, effrayés par le danger. Quoi donc ! ai-je plus de hardiesse qu’aucun d’eux ? Point du tout. Suis-je plus empressé à rendre service ? Quelque prix que j’attache à ce genre de mérite, je ne voudrais pas ravir aux autres l’heureuse occasion d’obliger. Quel motif si puissant m’a donc seul déterminé à me charger des intérêts de Sextus Roscius ? C’est que, si quelqu’un de ces grands citoyens avait entrepris de le défendre, et qu’il eût parlé des affaires publiques, ce qui arrivera nécessairement dans cette cause, on lui imputerait beaucoup de choses qu’il n’aurait pas dites. Moi, je pourrai tout dire, sans que mes paroles sortent de cette enceinte, et se répandent dans le public. Leur noblesse et le rang qu’ils occupent les mettent trop en évidence : nul mot sorti de leur bouche ne peut être ignoré ; nulle indiscrétion ne serait pardonnée ni à leur âge ni à leur expérience. Moi, qui n’ai jusqu’à ce moment exercé aucune fonction publique, si je m’exprime avec trop de liberté, ce que j’aurai dit pourra demeurer inconnu, ou peut-être ma jeunesse trouvera de l’indulgence, quoique pourtant on ne sache plus pardonner dans Rome, et que même l’usage ait prévalu chez nous de condamner sans entendre. Ajoutez encore que les autres orateurs auxquels on s’est adressé, ont pu penser qu’il leur était également permis ou de parler ou de se taire ; au lieu que j’ai été sollicité par des personnes à qui l’amitié, les bienfaits et les titres ont acquis sur moi les droits les plus puissants : il ne me convenait pas d’oublier leur