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tous les moyens de votre éloquence. Mais si vous croyez pouvoir suppléer par l’intrigue à la faiblesse de votre cause, si vous songez à triompher de nous par la ruse, par votre puissance et votre crédit, par les richesses de Verrès, renoncez à ce projet; gardez-vous de recourir à ces honteuses manœuvres qu’il a déjà essayées, mais que j’ai découvertes et qui me sont parfaitement connues. Toute prévarication dans ce jugement ne peut que vous exposer à de grands périls, à des périls plus grands que vous ne l’imaginez.

Vous pensez n’avoir plus rien à redouter de l’opinion publique, parce que vous avez occupé les premières magistratures et que vous êtes désigné consul. Croyez-moi, ces mœurs et ces bienfaits du peuple romain, il ne faut pas moins de soin pour les conserver que pour les obtenir. Rome a souffert aussi longtemps qu’elle l’a pu et qu’elle y a été forcée par la nécessité; ce despotisme que vous et vos pareils avez exercé sur les tribunaux et sur toutes les parties du gouvernement, elle l’a souffert : mais du jour où les tribuns du peuple ont été rétablis, toute votre puissance, si vous ne le comprenez pas encore, a été anéantie. Votre règne n’est plus; et dans ce moment, les yeux de tous les citoyens, fixés sur chacun de nous, examinent avec une sévère attention l’accusateur, le défenseur et les juges.

Si quelqu’un de nous s’écartait de son devoir, il n’aurait pas seulement à craindre cette opinion secrète dont vous n’avez jamais tenu compte; mais le jugement libre et sévère du peuple romain s’élèvera contre lui. Hortensius, nulle parenté, nul lien ne vous attache à Verrès, et vous ne pouvez ici alléguer aucune de ces excuses qui servaient à justifier l’excès de votre zèle en faveur de certains accusés. Il vous importe surtout de démentir ce que cet homme répétait publiquement dans sa province, qu’il agissait sans crainte parce qu’il était sûr de vous.

LXIX. Pour moi, j’ose croire que, de l’aveu des hommes qui me sont le plus contraires, j’ai rempli mon devoir. Dès la première action, quelques heures ont suffi pour que Verrès fût généralement reconnu coupable. Il reste à prononcer, non pas sur ma probité, à laquelle tous rendent hommage; non pas sur la vie de Verrès, qui est condamnée, mais sur les juges, et, s’il faut dire la vérité, sur vous-même. Mais dans quel moment? En effet, en toutes choses, et surtout lorsqu’il s’agit des affaires publiques, il importe de considérer les temps et les circonstances. C’est au moment où le peuple romain demande pour les jugements une autre classe, un autre ordre de citoyens; c’est au moment où des tribunaux et des juges nouveaux viennent d’être créés par une loi, qui est moins l’ouvrage du magistrat dont elle porte le nom, que celui de l’accusé, de Verrès lui-même. Oui, c’est lui qui, par ses espérances et par l’opinion qu’il s’est formée de vous, en est le véritable auteur.

Aussi, lorsqu’on a commencé l’instruction du procès, la loi n’avait pas été présentée au peuple; tant que plusieurs indices ont annoncé que, redoutant la sévérité du tribunal, Verrès ne répondrait pas, il n’a point été question de cette loi. On l’a proposée aussitôt qu’on a vu renaître sa confiance et son audace. Elle est peut-être