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publique, non seulement auprès de nos citoyens unis avec eux par le même langage, par les mêmes droits, par une infinité d’autres rapports ; mais en quelque lieu qu’ils se trouvent, ils espèrent que ce titre sera partout le gage de leur inviolabilité. Ôtez cette espérance à nos citoyens ; ôtez-leur cette garantie ; que ces mots, JE SUIS CITOYEN ROMAIN, soient sans force et sans pouvoir ; qu’un homme qui réclame ce titre puisse être envoyé à la mort par le préteur ou par tout autre magistrat, sous prétexte qu’il n’est pas connu : ne voyez-vous pas que dès lors vous fermez aux Romains toutes les provinces, tous les royaumes, toutes les républiques, toutes les parties de l’univers jusqu’alors ouvertes à nos concitoyens ? Puisqu’il nommait L. Prétius, chevalier romain qui commerçait alors en Sicile, vous eût-il coûté beaucoup d’envoyer une lettre à Palerme, de retenir Gavius, de le garder enchaîné dans les cachots de vos fidèles Mamertins, jusqu’à ce que Prétius fût arrivé de Palerme ? Si celui-ci l’avait connu, vous vous seriez un peu relâché de la rigueur du supplice ; sinon, par une nouvelle jurisprudence, vous auriez décidé que tout individu, fût-il citoyen, qui ne serait pas connu de vous, ou qui ne produirait pas un bon répondant, expirerait sur la croix.

LXVI. Mais pourquoi parler plus longtemps de Gavius, comme si vous n’aviez été que l’ennemi du seul Gavius, et non l’ennemi du nom romain, de la nation entière et du droit des citoyens ? Ce n’était pas lui, c’était la liberté commune que vous vouliez immoler. En effet, lorsque les Marmertins, suivant leur usage, eurent dressé la croix derrière la ville, sur la voie Pompéia, pourquoi ordonner qu’elle fût transportée sur les bords du détroit ? Pourquoi ajouter, ce que vous ne pouvez nier, ce que vous avez dit hautement devant tout un peuple, que vous choisissiez cet endroit, afin que cet homme qui se disait citoyen romain, pût, du haut de sa croix, apercevoir l’Italie et reconnaître sa maison ? Aussi, depuis la fondation de Messine, nulle autre croix n’a été dressée dans ce lieu. Verrès a choisi l’aspect de l’Italie, afin que ce malheureux, expirant dans les douleurs, pût mesurer l’espace étroit qui séparait la liberté de la servitude, et que l’Italie pût voir un de ses enfants mourir dans le plus cruel des supplices réservés aux esclaves.

Enchaîner un citoyen romain est un crime ; le battre de verges est un forfait ; lui faire subir la mort, c’est presque un parricide ; mais l’attacher à une croix ! Les expressions manquent pour caractériser une action aussi exécrable ! Ce n’était pas encore assez de tant de barbarie. Qu’il regarde sa patrie, dit-il, qu’il meure à la vue des lois et de la liberté. Ah ! je le répète : ce n’était point Gavius, ce n’était point un individu quelconque citoyen romain, c’étaient les droits communs de la liberté et de la cité qu’il condamnait à cet affreux supplice. Concevez toute l’audace de ce scélérat. Ne vous semble-t-il pas avoir regretté de ne pouvoir dresser cette croix pour tous les Romains, dans le forum, dans le comice, sur la tribune ? Il a choisi du moins dans la province le lieu qu’il a pu trouver le plus semblable à Rome par l’affluence du peuple, et le plus rapproché de nous par sa position. Il a voulu que le monument de sa scélératesse et de son audace fût érigé à