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au supplice. Voilà donc le sort réservé au peuple romain, sous votre préture ! voilà l’espoir qu’on offre à nos négociants ! tels sont les dangers qui les attendent ! Eh ! n’ont-ils pas assez à craindre des coups de la fortune, sans qu’ils aient encore à redouter nos magistrats dans nos provinces ? La Sicile, si voisine de Rome, si fidèle, peuplée de nos meilleurs alliés, de nos citoyens les plus honnêtes, qui nous accueillit toujours avec tant d’amitié, devait-elle être le théâtre de vos cruautés ? et fallait-il que des négociants qui revenaient de l’Égypte et des extrémités de la Syrie, à qui le nom romain avait concilié le respect des barbares, qui avaient échappé aux embûches des pirates, aux fureurs des tempêtes, trouvassent la mort en Sicile, lorsqu’ils se croyaient déjà rentrés au sein de leur famille ?

LXI. Comment vous peindre le supplice de P. Gavius, de la ville municipale de Cosa ? et comment donner assez de force à ma voix, assez d’énergie à mes expressions, assez d’explosion à ma douleur ? Le sentiment de cette douleur n’est pas affaibli dans mon âme ; mais où trouver des paroles qui retracent dignement l’atrocité de cette action et toute l’horreur qu’elle m’inspire ? Le fait est tel que, lorsqu’il me fut dénoncé pour la première fois, je ne crus pas en pouvoir faire usage. Quoique bien convaincu de sa réalité, je pensais que jamais il ne paraîtrait croyable. Enfin, cédant aux larmes de tous les Romains qui font le commerce en Sicile, entraîné par le témoignage unanime des Valentins, des habitants de Rhége et de plusieurs de nos chevaliers qui se trouvèrent alors dans Messine, j’ai fait entendre, dans la première action, un si grand nombre de témoins qu’il n’est plus resté de doute à qui que ce soit. Que vais-je faire à présent ? Bien des heures ont été employées à vous entretenir uniquement de l’horrible cruauté de Verrès ; j’ai épuisé, pour ses autres crimes, toutes les expressions qui pourraient seules retracer le plus odieux de tous ; et je ne me suis pas réservé les moyens de soutenir votre attention par la variété de mes plaintes. Le seul qui me reste, c’est d’exposer le fait ; il est si atroce, qu’il n’est besoin ni de ma faible éloquence, ni du talent d’aucun autre orateur pour pénétrer vos âmes de la plus vive indignation.

Ce Gavius, dont je parle, avait été jeté dans les carrières, comme tant d’autres, il s’en évada, je ne sais par quel moyen, et vint à Messine. A la vue de l’Italie et des murs de Rhége, échappé des ténèbres et des terreurs de la mort, il se sentait renaître en commençant à respirer l’air pur des lois et de la liberté : mais il était encore à Messine ; il parla, il se plaignit qu’on l’eût mis aux fers, quoique citoyen romain ; il dit qu’il allait droit à Rome, et que Verrès l’y trouverait à son retour.

LXII. L’infortuné ne savait pas que tenir ce langage à Messine, c’était comme s’il parlait au préteur lui-même, dans son palais. Je vous l’ai dit ; Verrès avait fait de cette ville la complice de ses crimes, la dépositaire de ses vols, l’associée de toutes ses infamies. Aussi Gavius fut-il conduit aussitôt devant le magistrat. Le hasard voulut que ce jour-là Verrès lui-même vînt à Messine. On lui dit qu’un citoyen romain se plai-