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ignorant et incapable d’attention n’a pu ni remarquer ni comprendre : ce mot est εδιϰώθησαν, locution sicilienne qui signifie : Ils ont été exécutés à mort.

LVIII. Si quelque roi, si quelque cité ou quelque nation étrangère avait commis un pareil attentat contre un de nos citoyens, la république n’en tirerait-elle pas vengeance ? ne prendrions-nous pas les armes ? et pourrions-nous laisser impuni cet outrage fait au nom romain ? combien de guerres entreprises par nos ancêtres pour venger des citoyens insultés, des navigateurs emprisonnés, des négociants dépouillés ! Je ne me plains pas de ce que ceux dont je parle ont été détenus, je tolère qu’ils aient été dépouillés mais ce que je dénonce, c’est qu’après s’être vu ravir leurs vaisseaux, leurs esclaves, leurs marchandises, des négociants aient été jetés dans les fers ; c’est que des Romains aient été mis à mort dans les prisons.

Si je parlais à des Scythes, et non pas ici, en présence de tant de citoyens, devant l’élite des sénateurs et dans le forum du peuple romain, le récit de ces affreux supplices, subis par des citoyens, pénétrerait d’horreur les âmes mêmes de ces barbares. Telle est la majesté de notre empire, tel est le respect que toutes les nations portent au nom romain, qu’elles ne conçoivent pas que cet excès de cruauté puisse être permis à aucun mortel. Croirai-je donc, Verrès, qu’il vous reste un asile, un moyen de salut, quand je vous vois sous la main sévère de la justice, et de toutes parts enveloppé par le peuple qui assiste à cette audience ? Si, ce que je crois impossible, vous parveniez par quelque moyen à vous dégager des liens de ce jugement, ce serait pour tomber dans un précipice encore plus profond, où vous resteriez accablé sous les traits inévitables que ma main nous lancerait d’un lieu plus élevé. Oui, juges, quand je voudrais admettre ses moyens de défense, sa propre justification ne lui ferait pas moins de mal que les griefs trop vrais que j’énonce contre lui.

Que dit-il, en effet, qu’il a saisi et envoyé au supplice ceux qui fuyaient d’Espagne. Qui vous l’a permis ? de duel droit l’avez-vous fait ? d’après quel exemple ? d’après quelle autorité ? Nous voyons le forum et les portiques qui l’entourent remplis de ces fugitifs ; et nous le voyons sans peine. Après de longues dissensions, déplorable effet ou de nos égarements, ou de la rigueur des destins, ou de la colère des dieux, on éprouve quelque satisfaction, lorsqu’en les terminant ou peut conserver les citoyens qui ont échappé au fer des combats. Et ces hommes à qui le sénat, à qui le peuple romain, à qui tous les magistrats ont permis de reparaître dans le forum, de donner leurs suffrages, de résider à Rome, d’y jouir de tous les droits du citoyen, Verrès, jadis traître à son consul, questeur transfuge, voleur des deniers publics, s’est arrogé le pouvoir de leur préparer une mort cruelle, si la fortune les conduisait sur quelque rivage de la Sicile ! Après la mort de Perpenna, plusieurs soldats de Sertorius implorèrent la clémence de Pompée. Cet illustre général ne mit-il pas le plus grand empressement à les sauver ? À quel citoyen suppliant cette main victorieuse n’offrit-elle pas le gage et