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l’as remis à un Syracusain ; tes soldats ont manqué de blé dans la Sicile ; tes débauches et ton avarice ont livré notre flotte aux pirates qui l’ont réduite en flammes. Un port où, depuis la fondation de Syracuse, nul ennemi n’a jamais pénétré, des pirates y sont entrés pour la première fois sous ta préture. Loin de dissimuler ces opprobres et de chercher à les ensevelir dans le silence et dans l’oubli, tu as, sans aucune raison, arraché les capitaines des bras de leurs parents et de tes hôtes, pour les traîner aux tourments et à la mort. Témoin de la douleur et des larmes de ces pères infortunés, mon nom qu’ils invoquaient n’a pas adouci ton cœur, et le sang de l’innocent a tout à la fois assouvi ta cruauté et ton avarice. Si votre père vous adressait ce langage, pourriez-vous même solliciter sa pitié ?

LIII. J’ai rempli mon devoir envers les Siciliens ; j’ai fait pour eux ce qu’ils avaient droit d’attendre d’un défenseur et d’un ami ; mes promesses sont acquittées et mes engagements remplis. Il me reste à défendre une cause que personne ne m’a confiée ; c’est en qualité de citoyen que je l’entreprends : je ne suis plus l’organe d’un ressentiment étranger ; je me livre aux transports d’une âme profondément indignée. Il ne s’agit plus de la vie de nos alliés, mais du sang des citoyens romains, c’est-à-dire, de l’existence de chacun de nous. Ici, n’attendez pas que j’accumule les preuves : les faits ne sont pas douteux ; et tout ce que je dirai du supplice des citoyens romains est si public et si notoire, que je pourrais appeler en témoignage la Sicile tout entière. Une sorte de frénésie qui accompagne la scélératesse et l’audace, s’était emparée de l’âme de Verrès ; et chez lui le crime était un besoin si pressant, la cruauté une manie si aveugle, qu’en présence d’une foule de Romains il n’hésitait pas à déployer contre nos citoyens les supplices réservés aux esclaves convaincus des plus grands forfaits. Qu’est-il besoin que je dénombre tous ceux qu’il a fait battre de verges ? Il suffira de dire que, durant sa préture, nulle distinction ne fut jamais admise. Aussi la main de son licteur se portait par habitude sur les corps de nos citoyens, sans même attendre un signal du préteur.

LIV. Pouvez-vous nier, Verrès, que dans le forum de Lilybée, en présence d’un peuple nombreux, C. Servilius, chevalier romain, ancien négociant de Palerme, est tombé au pied de votre tribunal sous les coups de vos bourreaux ? Niez ce premier fait, si vous l’osez. Tout Lilybée l’a vu, toute la Sicile l’a entendu. Oui, je dis qu’un citoyen est tombé à vos pieds, déchiré de coups par vos licteurs. Et pour quelle cause, grands dieux ! Pardonnez, droits sacrés du citoyen ! Je demande pour quelle cause Servilius a été battu de verges. En est-il donc qui puisse justifier un tel attentat contre un de nos citoyens ? Mais permettez cette question pour une seule fois : désormais je ne m’occuperai guère à chercher les raisons de sa conduite. Servilius s’était expliqué un peu librement sur la perversité et les débauches de Verrès. Aussitôt que Verrès en est informé, il envoie un esclave du temple de Vénus pour l’assigner à comparaître à Lilybée. Servilius promet de s’y rendre ; il s’y rend. Et là, quoique