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abrégeât leur supplice. Voilà bien des tourments inventés contre les pères et contre les familles de ces tristes victimes ; ils sont affreux, ils sont atroces : que du moins la mort de leurs fils en soit le terme ! Non, il n’en sera rien. La cruauté peut-elle donc aller plus loin que la mort ? elle en trouvera le moyen. Quand leurs enfants auront été frappés de la hache, et qu’ils auront perdu la vie, leurs corps seront exposés aux bêtes féroces. Si cette idée révolte l’âme d’un père, qu’il achète le droit d’ensevelir son fils.

Vous avez entendu Onasus de Ségeste déclarer qu’il a donné de l’argent à Timarchide pour la sépulture d’Héraclius. Ne dites pas, Verrès, que ce sont des pères irrités de la mort de leurs fils. Onasus est un des premiers citoyens de Ségeste ; c’est un homme respectable, et celui dont il parle n’était pas son fils. D’ailleurs est-il à Syracuse un homme qui n’ait entendu dire, qui ne sache que Timarchide faisait avec les prisonniers encore vivants des marchés pour leur sépulture ? que ces marchés étaient publics ? que les familles y étaient admises ? qu’on transigeait ouvertement pour les funérailles de gens encore pleins de vie ? Tous ces traités conclus, les condamnés sont tirés de la prison ; on les attache au poteau.

XLVI. Quel cœur alors, j’en excepte le vôtre seul, quel cœur fut assez dur, assez cruel, assez féroce pour n’être pas touché de leur jeunesse, de leur naissance, de leur misère ? Quels yeux purent refuser des larmes à leur malheur ? quel homme ne vit dans leur sort déplorable, non une calamité étrangère, mais un péril qui menaçait toutes les têtes ? On frappe le coup fatal : vous triomphez, barbare, au milieu des gémissements ; vous vous félicitez d’avoir anéanti les témoins de votre avarice. Vous vous trompiez ; oui, Verrès, vous vous trompiez cruellement, en croyant effacer par le sang de l’innocence la trace de vos brigandages et de vos infamies ; vous étiez en démence, lorsque vous pensiez que la cruauté assurerait l’impunité de l’avarice. Les témoins de vos crimes ne sont plus, mais leurs parents vivent pour vous poursuivre et les venger ; mais quelques-uns de ces capitaines respirent encore, ils sont devant vos juges, et la fortune semble les avoir soustraits au supplice pour assister à votre jugement.

Vous voyez devant vous, citoyens, Philargue d’Haluntium, qui, n’ayant pas fui avec Cléomène, a été accablé par les pirates et fait prisonnier. Son malheur l’a sauvé ; s’il avait échappé aux pirates, il serait tombé entre les mains du bourreau de nos alliés. Il dépose des congés vendus aux matelots, de la disette des vivres, de la fuite de Cléomène. Avec lui, vous voyez Phalargue de Centorbe, un des premiers citoyens d’une ville puissante : il déclare les mêmes faits, sa déposition est la même.

Au nom des dieux immortels ! juges qui m’écoutez, quelle impression a faite sur vous le récit de ces atrocités ? Ne voyez-vous dans mes plaintes que le délire d’une âme que la douleur égare ? ou plutôt le supplice horrible de tant d’innocents ne vous a-t-il pas pénétrés de la même douleur ? Pour moi, lorsque je prononce qu’un citoyen d’Herbite, qu’un citoyen d’Héraclée, ont péri