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qu’il a été son lieutenant. De l’avis de son conseil, veut dire, de l’avis des brigands ses associés. Cet arrêt fut un coup de foudre pour les Siciliens. Nos anciens et fidèles alliés, si souvent comblés de bienfaits par nos ancêtres, furent glacés d’effroi : personne ne se crut en sûreté. Ainsi donc cette clémence et cette douceur de notre empire se sont changées en un excès de cruauté et de barbarie ! ainsi tant de malheureux sont condamnés, tous en un seul instant, tous sans être convaincus d’un seul crime ; ainsi un préteur pervers cherche à couvrir, par des flots de sang innocent les traces affreuses de ses brigandages ! Il semble, et certes avec raison, qu’on ne peut rien ajouter à ce comble de perversité, de démence et de barbarie. Mais Verrès ne rivalise pas avec les autres scélérats, il les a laissés loin derrière lui. Il rivalise avec lui-même ; et le vœu de son ambition, c’est que toujours le crime qu’il va commettre surpasse le crime qu’il a commis. Je vous ai dit plus haut que Cléomène avait demandé une exception en faveur de Phalargue, parce qu’il était avec lui sur le vaisseau de Centorbe. Toutefois, en voyant périr tant de malheureux qui n’étaient pas plus coupables que lui, ce jeune homme n’était pas sans inquiétude. Timarchide vient le trouver ; il lui dit qu’il n’a rien à craindre pour sa tête, mais que, s’il ne prend quelques précautions, il pourrait bien être battu de verges. Que vous faut-il de plus ? vous avez entendu Phalargue lui-même déposer que, par précaution, il compta une somme d’argent à Timarchide.

Mais sont-ce là des reproches à faire à Verrès ? Qu’un capitaine se soit garanti des verges pour de l’argent ; c’est une chose toute simple. Qu’un autre ait payé pont n’être pas condamné ; il n’y a rien de bien extraordinaire. Le peuple romain ne veut pas qu’on fasse à Verrès des reproches usés et rebattus. Il demande des crimes nouveaux ; il attend des forfaits inconnus ; il croit qu’on juge ici, non pas un préteur de la Sicile, mais le plus cruel des tyrans.

XLV. Les condamnés sont enfermés dans la prison. Le jour du supplice est fixé. On le commence dans la personne de leurs parents, auxquels on ne permet pas d’arriver jusqu’à leurs fils ; on les empêche de leur porter des vivres et des vêtements. Ces pères, dont vous voyez les larmes, restaient étendus sur le seuil de la prison. De malheureuses mères passaient la nuit auprès de la porte qui les séparait de leurs enfants. Hélas ! elles demandaient pour unique faveur de recueillir leur dernier soupir. Sestius était là : Sestius, le geôlier de la prison, le chef des bourreaux, la mort et la terreur de nos alliés et de nos citoyens. Ce féroce licteur mettait un prix à chaque larme, fixait un tarif à chaque douleur. Pour entrer, il faut tant ; pour introduire des vivres, tant. Personne ne refusait. Mais que donneras-tu pour que, du premier coup, j’abatte la tête de ton fils ? pour qu’il ne souffre pas longtemps ? pour qu’il ne soit frappé qu’une fois ? pour que la vie lui soit ôtée sans qu’il sente la hache ? On payait encore au licteur ce funeste service.

Ô douleur ! ô nécessité cruelle et déchirante. Des pères, des mères forcés d’acheter pour leurs enfants, non la vie, mais la célérité de la mort ! Et ces jeunes gens eux-mêmes composaient avec Sestius afin de n’être frappés qu’une fois. Ils demandaient à leurs parents, comme une dernière marque de tendresse, de payer Sestius pour qu’il