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manité ! vous allez entendre les indignités et les horreurs dont vos alliés ont été victimes. Sachez que cet Héraclius, attaqué d’unie forte ophtalmie, n’avait pu s’embarquer avec les autres ; il était resté à Syracuse par congé, par ordre du commandant ; s’il en eût été autrement, son absence coupable aurait été remarquée au moment du départ. Celui-là certes n’a pas trahi la flotte ; il n’a pas fini lâchement, il n’a pas déserté. Eh bien ! cet homme contre qui on aurait manqué de prétexte, est confondu avec les autres, comme s’il était convaincu d’un délit manifeste.

Parmi ces capitaines était Furius d’Héraclée : beaucoup de Siciliens portent des noms latins. Cet homme fort connu dans sa ville, tant qu’il a vécu, est devenu, depuis sa mort, célèbre dans toute la Sicile. Non seulement il eut le courage de braver le préteur ; sûr de mourir, il sentait qu’il n’avait rien à ménager : mais lorsque déjà la hache se levait sur sa tête, sa main, trempée des larmes d’une mère qui passait les jours et les nuits avec lui dans sa prison, traça cette apologie que toute la Sicile connaît, que tout le monde lit, où chacun apprend à détester votre scélératesse et votre barbarie. On y voit le nombre des matelots que sa ville a fournis, le nombre et le prix des congés qui ont été vendus, le nombre des rameurs qui lui sont restés ; il entre dans les mêmes détails sur les autres vaisseaux ; et tandis qu’il vous disait ces vérités à vous-même, on lui frappait les yeux à coups de verges. Résigné à la mort, il se laissait déchirer sans se plaindre. D’une voix ferme, il répétait ce qu’il a écrit dans son mémoire, qu’il était affreux que les larmes d’une mère eussent moins de pouvoir pour sauver un fils, que les sollicitations d’une épouse impudique n’en avaient eu pour sauver l’infâme Cléomène. Je lis dans cet écrit des paroles remarquables ; et si le peuple romain vous a bien connus, juges, vous accomplirez ce qu’il a prédit de vous à l’instant de sa mort. « Le sang des témoins, dit-il, ne peut jamais effacer les crimes de Verrès. Du séjour des ombres ma voix viendra se faire entendre à des juges intègres, avec bien plus de force que si je paraissais moi-même devant les tribunaux. Vivant, je ne pourrais prouver que son avarice ; la mort qu’il m’aura fait subir attestera sa scélératesse, son audace, sa férocité. » Ce qu’il ajoute est admirable. « Quand on instruira ton procès, Verrès, non seulement tu seras investi par des légions de témoins, mais les Euménides qui vengent l’innocence, les Furies qui tourmentent le crime, sortiront des enfers pour presser ton jugement. Quant à moi, la mort n’a rien qui m’effraye. J’ai déjà vu le visage de ton Sestius ; j’ai vu la hache briller dans ses mains infâmes, lorsque, par ton ordre, il l’essayait sur des citoyens romains, en présence même de leurs concitoyens. » Que vous dirai-je de plus ? Furius, subissant le plus cruel supplice des plus malheureux esclaves, a fait éclater cette liberté généreuse que Rome a donnée à ses alliés.

XLIV. Verrès les condamne tous, de l’avis de son conseil : et cependant, à ce conseil qui doit prononcer sur la destinée de tant d’hommes, sur la vie de tant de citoyens innocents, il n’appelle ni Vettius, son questeur, ni Cervius, son lieutenant, homme trop intègre pour être son assesseur, et sans doute aussi pour être son juge ; car c’est le premier qu’il ait récusé, par la raison même