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des hommes nés dans l’île de Cérès, où fut inventé l’usage du blé, étaient réduits à ces aliments sauvages dont leurs ancêtres ont fait perdre l’habitude au reste des humains ! Sous votre préture, les soldats siciliens vivaient de racines de palmiers ; et les pirates se nourrissaient du plus pur froment de la Sicile ! Spectacle honteux et déplorable ! la gloire de Rome, le nom romain, sont avilis en présence d’un peuple nombreux. Une barque de pirates triomphe de la flotte du peuple romain, dans le port de Syracuse, et ses rameurs font jaillir l’onde écumante jusque sur les yeux du plus pervers et du plus lâche des préteurs !

Après que les pirates furent sortis du port (et ce ne fut pas la crainte qui les en chassa, ils avaient satisfait leur curiosité), les Syracusains commencèrent à raisonner sur la cause d’un si grand désastre. Faut-il s’étonner ? disait-on hautement quand la plupart des soldats et des rameurs avaient été congédiés, quand ceux qui restaient périssaient de misère et de besoin, quand le préteur passait des jours entiers à s’enivrer avec des femmes, pouvait-on attendre autre chose que la honte et le malheur ? Ces reproches flétrissants étaient encore appuyés par les capitaines qui s’étaient réfugiés à Syracuse, après la perte de la flotte : chacun nommait les hommes de son équipage, qu’il savait avoir obtenu leur congé. La preuve était sans réplique ; et l’avarice du préteur, déjà démontrée par les raisonnements, l’était encore plus par des témoignages irrécusables.

XXXIX. On l’avertit que, dans les réunions et au forum, on passe les jours entiers à questionner les capitaines sur la manière dont la flotte a été perdue ; que ceux-ci répondent à qui veut les entendre qu’il faut tout attribuer aux congés des rameurs, au manque de vivres, à la lâcheté et à la fuite de Cléomène. Sur cet avis, il prend ses mesures. Il vous a dit lui-même, dans la première instruction, que dès lors il s’attendait à être accusé. Il voyait que, s’il avait contre lui le témoignage des capitaines, il ne pourrait jamais résister à cette accusation : il prend une résolution folle et ridicule, mais qui du moins n’avait rien de cruel.

Il mande Cléomène et les capitaines. Ils viennent : il se plaint à eux des discours qu’ils se sont permis sur lui ; il les prie de cesser de pareils propos, et de dire que leur équipage était complet, et qu’il n’a pas été accordé un seul congé. Ils se montrent disposés à faire tout ce qu’il voudra. Sans remettre au lendemain, Verrès fait entrer ses amis, demande à chaque capitaine combien il avait de matelots. Tous font la réponse qui leur a été dictée. Verrés enregistre leurs déclarations. En homme prévoyant, il y appose le sceau de ses amis, afin de produire au besoin ces certificats honorables. Il est à croire que ses conseillers lui firent sentir le ridicule de cette opération, et l’avertirent que ces registres ne pourraient lui être utiles ; que même cet excès de précaution ne ferait qu’aggraver les soupçons. Déjà il avait eu plusieurs fois recours à ce misérable expédient ; on l’avait vu faire effacer ou écrire ce qu’il voulait, même sur les registres publics. Il sent combien cette ressource est vaine, aujour-