Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une courtisane, se fait voir sur le rivage, en sandales, en manteau de pourpre, en tunique longue. Déjà une foule de Siciliens et même de nos citoyens l’avaient vu plusieurs fois vêtu de cette manière.

Le cinquième jour enfin, la flotte arrive à Pachynum. Les matelots, pressés par la faim, ramassaient des racines de palmiers sauvages, qui sont en abondance dans ces lieux, comme dans la plus grande partie de la Sicile. Ces malheureux dévoraient ces tristes aliments. Cléomène, qui croyait devoir représenter Verrès par son luxe et sa débauche, ainsi qu’il le représentait par son autorité, fit, comme lui, dresser une tente sur le rivage, et il passait les jours entiers à s’enivrer.

XXXIV. Tout à coup, et tandis que Cléomène était ivre, et que les autres mouraient d’inanition, on annonce que les pirates sont au port d’Odyssée. Notre flotte était toujours à Pachynum. Comme il y avait dans ce lieu une garnison, sans soldats il est vrai, Cléomène crut d’abord pouvoir en tirer de quoi compléter ses équipages ; mais l’avarice du préteur ne s’était pas moins exercée dans les garnisons que sur la flotte ; il n’y restait qu’un très petit nombre d’hommes ; les autres avaient acheté leur congé. Sans attendre personne, Cléomène commande à ses Centorbiens de redresser le mât, de déployer les voiles, de couper les câbles, et donne à la flotte le signal et l’exemple de la fuite. Le vaisseau de Centorbe était un excellent voilier ; car de savoir ce que chaque vaisseau pouvait faire à l’aide des rames, c’est ce qui n’était pas possible sous la préture de Verrès. Celui-ci pourtant, par une faveur spéciale, avait, à peu de chose près, ses soldats et ses rameurs. Il part, il fuit : déjà il avait disparu, lorsque les autres encore manœuvraient avec effort pour se mettre en marche.

Le courage ne manquait pas au reste de la flotte : malgré leur petit nombre, malgré leur situation déplorable, ils criaient qu’ils voulaient combattre, et perdre sous le fer ennemi le peu de sang et de force que la faim leur avait laissé. La résistance eût été possible, si Cléomène eût moins précipité sa fuite. Son vaisseau, le seul qui fût ponté, était assez grand pour servir de rempart aux autres : dans ce combat contre les pirates, il eût semblé une ville flottante au milieu de leurs chétifs brigantins. Mais, sans moyens, délaissés par leur général, ils furent contraints de tenir la même route.

Ils se dirigèrent comme lui vers Élore, moins pour fuir les pirates que pour suivre leur commandant. Celui qui restait le plus en arrière se trouvait le plus près du péril ; les pirates attaquaient toujours le dernier. Ils prennent d’abord le vaisseau d’Haluntium, commandé par Philarque, un des citoyens les plus distingués de cette ville, et que les Locriens ont racheté depuis aux frais de leur trésor. C’est lui qui, dans la première action, vous a instruits de ces détails. Le vaisseau d’Apollonie fut pris le second : Anthropinus, qui en était capitaine, fut tué.

XXXV. Cependant Cléomène était déjà par-