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Vous avez gardé un pirate vivant : combien de temps ? jusqu’à la fin de votre préture. Dans quel dessein ? par quel motif ? d’après quel exemple ? pourquoi si longtemps ? pourquoi, dis-je, faire périr si vite des citoyens pris par les pirates, et laisser aux pirates une si longue jouissance de la vie ?

J’accorde que vous ayez pu le faire, tant qu’a duré votre préture. Mais simple particulier, mais accusé et presque condamné, garder chez vous, dans une maison privée, des chefs ennemis ! Et ces pirates y sont restés un mois, deux mois, une année presque entière ; ils y seraient encore sans moi, je veux dire, sans M. Acilius Glabrion qui, sur ma réquisition expresse, a ordonné qu’ils fussent représentés et conduits dans la prison publique.

XXX. Quelle loi, quel usage, quel exemple, autorisent votre conduite ? Garder dans sa maison l’ennemi le plus acharné, le plus implacable du peuple romain, disons mieux, l’ennemi commun de tous les pays, de toutes les nations, quel mortel, s’il n’est qu’un simple citoyen, peut jamais avoir ce singulier privilège ?

Mais si, la veille du jour où je vous forçai d’avouer que des citoyens romains avaient péri sous la hache, qu’un chef des pirates vivait encore, et qu’il était chez vous ; si, dis-je, la veille de ce jour, il s’était échappé, et qu’il eût armé quelque troupe contre le peuple romain, vous viendriez donc nous dire : Il logeait dans ma maison, il était chez moi ; je lui conservais la vie, afin que sa présence confondit mes accusateurs. Eh quoi ! pour vous affranchir d’un péril, vous compromettrez le salut de l’État ! votre intérêt personnel, et non celui de la patrie, fixera l’heure du supplice pour nos ennemis vaincus ! l’ennemi du peuple romain sera sous la garde d’un homme privé ! Les triomphateurs prolongent la vie des chefs ennemis, afin de les conduire devant le char triomphal, et d’offrir au peuple romain le spectacle le plus beau, la plus douce jouissance de la victoire ; mais au moment où le char se détourne pour monter au Capitole, ils les font conduire dans la prison, et le même jour voit finir le pouvoir du vainqueur et la vie des vaincus.

Ah ! Verrès, on n’en peut plus douter, surtout quand on sait par votre propre déclaration que vous vous attendiez à être accusé : si vous n’aviez rien reçu, vous ne vous seriez pas hasardé à conserver ce pirate, au risque évident de vous perdre vous-même. Car enfin, s’il était mort, vous qui déclarez craindre une accusation, à qui le feriez-vous croire ? Il était constant qu’à Syracuse, tous avaient cherché à le voir, et que nul ne l’avait vu ; personne ne doutait qu’il ne se fût racheté à prix d’argent ; on disait hautement que vous aviez supposé un homme, afin de le produire à sa place ; vous êtes convenu vous-même que depuis longtemps vous redoutiez cette accusation : si donc vous veniez nous dire, Il est mort, on ne vous écouterait pas ; aujourd’hui que vous présentez un homme que personne ne connaît, prétendez-vous qu’on vous croie davantage ?

Et s’il s’était enfui, s’il avait brisé ses fers, comme a fait Nicon, ce fameux pirate que P. Servilius reprit avec autant de bonheur qu’il l’avait pris une première fois, que pourriez-vous