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pouviez ni sortir de votre province, ni rien envoyer par mer hors des pays où toute acquisition et tout genre de trafic vous étaient interdits par la loi.

Et pourquoi acquérir quand les lois le défendent ? Ce délit aurait suffi pour vous perdre dans les temps heureux de Rome vertueuse et sévère. Aujourd’hui, loin d’en faire la base d’une accusation, je n’en fais pas même la matière d’un reproche. Mais enfin, avez-vous pensé que, dans le lieu le plus peuplé d’une province où vous commandiez, vous pourriez vous faire construire publiquement un vaisseau de transport sans vous dévouer à l’infamie, à la vengeance des lois, à l’indignation des citoyens ? Qu’ont pu dire et penser ceux qui l’ont vu, ceux qui l’ont entendu ? que votre intention était de le conduire vide en Italie ? de faire le commerce de mer après votre retour à Rome ? Qui que ce soit ne pouvait même soupçonner que vous eussiez en Italie des propriétés voisines de la mer, et qu’il fût destiné à transporter vos récoltes. Vous avez voulu qu’on dît hautement que vous prépariez un vaisseau pour emporter le butin de la Sicile, et venir à diverses reprises recueillir le reste du pillage.

Au surplus, si vous prouvez qu’il a été construit à vos frais, je vous fais grâce de toutes ces réflexions. Mais, ô le plus insensé des hommes ! ne sentez-vous pas que, dans la première action, les Mamertins eux-mêmes, vos propres panégyristes, vous ont ravi cette ressource ? Héius, le premier citoyen de cette ville, le chef de la députation envoyée pour vous louer, Héius a déclaré qu’un vaisseau a été construit pour vous par les ouvriers publics de Messine, et qu’un sénateur a été nommé pour surveiller ce travail. Quant aux bois de construction, comme les Mamertins n’en ont pas, vous avez intimé aux habitants de Rhége l’ordre de les fournir. Ils le disent eux-mêmes, et certes nous n’avons pas besoin de leur témoignage.

XIX. Si les matériaux et la main-d’œuvre ne vous ont coûté qu’un ordre, où donc est l’argent que vous prétendez avoir dépensé ? Mais, dites-vous, on ne trouve aucune trace de ces frais dans les registres de Messine. D’abord, il est possible qu’on n’ait rien tiré du trésor de la ville. Chez nos ancêtres, le Capitole lui-même a été bâti sans rien coûter à l’État : les ouvriers furent commandés et ne reçurent point de salaire. Ensuite, j’aperçois par les registres, et je le démontrerai quand je ferai entendre les Mamertins, que de grandes sommes ont été accordées à Verrès pour des entreprises supposées. Et faut-il s’étonner qu’ils n’aient pas voulu compromettre par leurs registres un bienfaiteur, qui s’était montré bien plus leur ami que celui du peuple romain ? Mais si, du silence de leurs registres, vous concluez que les Mamertins ne vous ont pas donné d’argent, je conclurai aussi que le vaisseau ne vous a rien coûté, puisque vous ne prouvez par aucun écrit que vous ayez rien payé, ni pour les matériaux, ni pour le salaire des ouvriers.

Mais, direz-vous, si je n’ai pas exigé un vaisseau des Mamertins, c’est qu’ils sont nos confédérés. Grâce au ciel, nous avons un préteur élevé