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personne qui, revêtu du commandement militaire, pût être envoyé dans cette contrée, quelqu’un observa que Verrès n’était pas loin de Temsa. Quel frémissement s’éleva de toutes les parties de la salle ! avec quelle chaleur les chefs du sénat repoussèrent cette idée l Et cet homme, chargé de tant d’accusations, convaincu par tant de témoignages, ose compter encore sur les suffrages de ceux dont les voix l’ont condamné ouvertement, avant même que sa cause eût été instruite !

XVII. Eh bien ! dira Hortensius, Verrès n’a pas eu la gloire de terminer ou de prévenir la guerre des esclaves, parce qu’en effet cette guerre n’a pas existé, qu’on n’a pas eu lieu de la craindre en Sicile, qu’enfin il n’a rien fait pour l’empêcher. Mais du moins il a opposé aux pirates une flotte très bien équipée, et dans cette guerre, il a donné des preuves d’une vigilance incomparable. Aussi, pendant sa préture, la province a-t-elle été parfaitement garantie. Juges, avant de vous parler de la guerre des pirates et de la flotte sicilienne, j’ose affirmer que cette partie de son administration est celle qui renferme ses plus monstrueux attentats. Avarice, lèse-majesté, extravagance, débauche, cruauté, tout y est porté aux plus affreux excès. Daignez me continuer votre attention : je n’abuserai pas de votre patience. Je soutiens d’abord, qu’en équipant une flotte sous prétexte de défendre la province, il n’a eu d’autres vues que de gagner de l’argent. Ses prédécesseurs avaient toujours exigé, de chaque ville, des vaisseaux et un nombre déterminé de matelots et de soldats. Verrès, vous n’avez rien exigé de Messine, une des plus grandes et des plus opulentes cités de la Sicile. On verra par la suite quelle somme les Mamertins ont payée en secret pour obtenir une telle exemption : j’examinerai leurs registres ; j’interrogerai leurs témoins. En attendant, j’affirme que le Cybée, superbe navire de la grandeur d’une trirème, construit publiquement aux frais de la ville, sous le regard de la Sicile entière, vous a été offert en pur don par les magistrats et le sénat de Messine. Ce vaisseau, chargé du butin de la Sicile, dont lui-même faisait partie, quitta la province en même temps que le préteur. Il vint aborder à Vélie, portant une infinité de richesses et les effets que Verrès n’avait pas voulu envoyer à Rome avec ses autres vols, parce que c’était ce qu’il avait de plus précieux et de plus cher. Il est encore à Vélie. Je l’ai vu dernièrement ; beaucoup d’autres l’ont vu comme moi. Il est très beau, parfaitement équipé. Il semblait à tous ceux qui le regardaient, attendre déjà l’exil de son maître et se disposer à seconder sa fuite.

XVIII. Ici, que répondrez-vous, sinon une chose qui ne peut vous excuser, que cependant il est nécessaire de dire dans un procès de cette nature : c’est que ce vaisseau a été construit à vos frais. Osez du moins soutenir une imposture qui vous est nécessaire ; et ne craignez pas, Hortensius, que je demande de quel droit un sénateur s’est fait construire un vaisseau. Les lois qui le défendent sont vieilles ; elles sont mortes, comme vous l’avez dit tant de fois ; et le temps n’est plus où la morale publique, ou la sévérité des tribunaux autorisait un accusateur à placer un tel délit au nombre des grands crimes. En effet, qu’aviez-vous besoin de vaisseau ? Si l’intérêt public vous obligeait de voyager, l’État vous en fournissait pour le transport et la sûreté de votre personne. Quant à vos affaires personnelles, vous ne