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XV. Et vous, lorsque vous avez été proclamé préteur, n’importe par quels moyens, je ne rappelle point ce qui s’est fait alors ; mais enfin, lorsque vous avez été proclamé, la voix du héraut qui répéta tant de fois que les centuries des vieillards et celles des jeunes gens vous décernaient cette dignité, la voix du héraut ne vous a pas tiré de votre assoupissement ! Vous n’avez pas réfléchi qu’une portion de la république était confiée à vos soins ; que cette année du moins il faudrait vous interdire la maison d’une courtisane ! Quand le sort vous eut nommé chef de la justice, vous n’avez pas songé à l’importance de vos devoirs ! vous n’avez pas senti, si toutefois votre léthargie vous permettait de sentir quelque chose, que cette partie de l’administration où la sagesse la plus rare, l’intégrité la plus scrupuleuse, ne garantissent pas toujours des écueils, était abandonnée au plus insensé comme au plus scélérat des hommes ! Aussi, pendant votre préture, votre demeure n’a pas été fermée à Chélidon ; au contraire, vous avez transporté votre préture tout entière dans la demeure de Chélidon. Vous fûtes ensuite envoyé en Sicile ; et là, jamais il ne vous est venu dans la pensée, qu’en vous donnant les haches, les faisceaux, l’autorité, et tout l’appareil d’un si grand pouvoir, la république ne prétendait pas vous livrer des armes pour briser toutes les barrières des lois, de la pudeur et du devoir ; pour faire du bien des peuples la proie de votre cupidité ; pour que les fortunes, les maisons, la vie des hommes et l’honneur des femmes n’opposassent qu’une résistance inutile à votre avarice et à votre audace ! Telle a été l’infamie de votre conduite, qu’aujourd’hui, pressé, investi de toutes parts, vous cherchez un refuge dans la guerre des esclaves. Vous voyez à présent que, loin de servir à votre défense, elle prête une force nouvelle à votre accusateur, à moins que vous ne nous parliez de cette poignée de fugitifs rassemblés à Temsa. C’était une occasion favorable que la fortune vous présentait, si vous aviez été capable de quelque courage et de quelque activité. Mais vous fûtes alors ce que vous aviez toujours été.

XVI. Les Valentins étaient venus vous trouver, et M. Marins, parlant en leur nom, vous conjurait de vous charger de cette expédition ; il représentait que, conservant encore le titre et l’autorité de préteur, c’était à vous de marcher à leur tête pour exterminer cette poignée d’ennemis. Non seulement vous les refusâtes, mais dans ce temps même, cette Tertia que vous emmeniez avec vous, était à vos côtés sur le rivage, bravant tous les regards. Les Valentins, c’est-à-dire les habitants d’une de nos premières villes municipales, accourus pour un objet aussi important, remportèrent, au lieu de réponse, l’étonnement d’avoir vu un magistrat romain, vêtu d’une tunique brune et d’un manteau grec. Qu’a-t-il dû faire, à son départ de Rome et dans son gouvernement, cet homme qui, sortant de sa province, non pour triompher, mais pour subir un jugement, n’a pas même évité un scandale qui ne lui procurait aucun plaisir ?

Oh ! qu’il fut bien inspiré par les dieux ce murmure du sénat assemblé dans le temple de Bellone ! Vous ne l’avez pas oublié, citoyens. La nuit approchait ; on venait de vous informer de ce rassemblement auprès de Temsa ; comme on n’avait