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heure à la honte et à l’opprobre, et dont les excès avaient lassé tout le monde, excepté lui seul ? faut-il vous le montrer forçant par sa violence et son audace toutes les résistances que lui opposaient l’innocence et la pudeur ? associerai-je à l’infamie de ses désordres les familles qui en ont été les victimes ? Non : je tirerai le voile sur ses anciens scandales. Je citerai seulement deux faits récents qui ne compromettront personne, et qui suffiront pour vous donner une idée du reste. L’un, public et généralement connu, c’est que de tous les habitants de la campagne qui, sous le consulat de Lucullus et de Cotta, sont venus à Rome pour quelque procès, il n’en était pas un qui ne sût que les caprices et la volonté de la courtisane Chélidon dictaient tous les arrêts du préteur civil. Voici l’autre. Déjà Verrès était sorti de Rome, revêtu des habits militaires ; déjà il avait prononcé les vœux solennels pour le succès de son administration et pour la prospérité de l’empire : la nuit, pour satisfaire une passion criminelle, bravant et la religion et les auspices, et tout ce qu’il y a de sacré dans le ciel et sur la terre, il rentrait dans la ville en litière, et se faisait porter chez une femme qui, l’épouse d’un seul homme, avait tous les hommes pour maris.

XIV. Dieux immortels ! quelle différence entre les pensées et les sentiments des hommes ! Puisse votre estime, citoyens, puissent les suffrages du peuple romain accueillir mon zèle et combler mes espérances, comme il est vrai qu’en recevant les dignités que le peuple romain a daigné m’accorder jusqu’ici, j’ai cru contracter avec lui les obligations les plus indispensables et les plus sacrées ! Nommé questeur, j’ai regardé cette magistrature, non pas comme un don, mais comme un dépôt dont je devais compte à la patrie. Lorsque j’en ai rempli les fonctions en Sicile, je pensais que tous les yeux étaient fixés sur moi ; que, placées sur un grand théâtre, ma personne et ma questure étaient en spectacle à tout l’univers ; et, loin de me livrer à ces passions que la raison condamne, je me suis même refusé les douceurs que la nature semble exiger.

En ce moment, je suis édile désigné ; je sens toute l’importance des devoirs qui me sont imposés par le peuple romain : célébrer avec le plus grand appareil les jeux consacrés à Cérès, à Bacchus et à Proserpine ; rendre la déesse Flora favorable à l’empire et à l’ordre du peuple, par la pompe des jeux institués en son honneur ; faire représenter avec la majesté la plus auguste et la plus religieuse, au nom de Jupiter, de Junon et de Minerve, ces jeux solennels, les plus anciens de Rome et les premiers qu’on ait appelés romains ; veiller à l’entretien des temples, étendre mes soins sur Rome entière : telles sont mes fonctions ; je le sais, citoyens, et je sais aussi que, pour prix de tant de travaux, on m’accorde le droit d’opiner avant les simples sénateurs, la toge bordée de pourpre, la chaise curule, le droit d’image pour perpétuer mon existence dans la postérité.

Ces distinctions honorables remplissent mon âme de la joie la plus vive : mais que tous les dieux cessent de m’être propices, si je ne suis pas moins sensible encore au plaisir de les avoir obtenues, que je ne suis occupé du soin de me montrer digne d’une si haute faveur, et de prouver que ce choix n’est pas tombé sur moi, parce qu’il était nécessaire de nommer quelqu’un des candidats, mais que le peuple, en me donnant ce témoignage de son estime, n’a pas été trompé dans son attente.