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ce moment, il n’était plus possible de le voir hors de cet asile voluptueux. L’accès en était fermé à tout ce qui n’était pas ou le complice ou le ministre de ses débauches. Là se rendaient toutes les femmes avec lesquelles il avait des liaisons : et vous ne sauriez croire combien le nombre en était grand dans Syracuse. Là se rassemblaient les hommes dignes de son amitié, et qui méritaient d’être associés à la honte de sa vie et de ses festins. C’était parmi de tels hommes, c’était au milieu de ces femmes scandaleuses, que vivait son fils déjà parvenu à l’adolescence, en sorte que, si même la nature lui inspirait de l’aversion pour les vices paternels, l’habitude et l’exemple le forçaient de ressembler à son père. La fameuse Tertia, furtivement enlevée à un musicien de Rhodes, excita les plus grands troubles dans ce camp. L’épouse du Syracusain Cléomène, fière de sa noblesse, celle d’Eschrion, d’une famille honnête, s’indignaient qu’on leur donnât pour compagne la fille du bouffon Isidore. Mais dans le camp de cet autre Hannibal, le mérite et non la naissance assignait les rangs ; et telle fut sa prédilection pour cette Tertia, qu’il l’emmena avec lui lorsqu’il sortit de la Sicile.

XIII. Tandis que le préteur, vêtu d’un manteau de pourpre et d’une tunique longue, se livrait aux plaisirs au milieu de ses femmes, les Siciliens ne montraient aucun mécontentement : ils enduraient sans peine que le magistrat ne parût point sur son tribunal, que le barreau fût désert, que la justice fût muette ; ils ne se plaignaient pas du bruit des instruments, des voix de tant de femmes qui remplissaient toute cette partie du rivage, pendant que le silence régnait autour des tribunaux. Ce n’étaient pas en effet la justice et les lois qui s’en étaient éloignées, mais la violence, mais la cruauté, et les déprédations les plus iniques et les plus atroces.

Et c’est là, Hortensius, celui que vous présentez comme un excellent général ? les vols, les brigandages, l’avarice, la cruauté, le despotisme, la scélératesse, l’audace de cet homme, vous voulez que tout soit effacé par l’éclat de ses exploits, que tout disparaisse dans les rayons de sa gloire ? Ah ! sans doute je dois craindre qu’à la fin de votre plaidoyer, heureux imitateur de l’éloquent Antonius, vous ne fassiez paraître Verrès, et que, découvrant sa poitrine, vous ne comptiez, sous les yeux du peuple romain, ces morsures de femmes passionnées, monuments irrécusables du libertinage et de la débauche la plus effrénée.

Fassent les dieux que vous osiez parler de ses talents pour la guerre ! Je ferai connaître alors tous ses anciens services ; on verra quel il a été non seulement comme général, mais comme soldat ; je rappellerai ses premières armes, le temps où il était, non pas, comme il se plaît à le dire, conduit au forum pour son instruction, mais emmené du forum pour des occupations bien différentes ; je parlerai de ce camp de joueurs, où, toujours présent dans les rangs, il se vit pourtant privé de sa paye ; je citerai bien des pertes essuyées dans ses premières campagnes, mais réparées par le trafic de sa jeunesse. Est-il besoin de dire ce qu’il a été dans l’âge viril, cet homme endurci de si bonne