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ses délices ; qu’au reste le système opposé est bien meilleur, et a tout l’avantage dans le siècle où nous sommes. Il le sait ; mais il ne croit pas pour cela, que la fortune et l’existence des gens de bien doivent être livrées à la merci de ceux qui ont renoncé aux principes de l’honneur pour amasser et dissiper comme Gallonius, et se sont même enrichis de qualités que Gallonius n’avait pas, l’audace et la perfidie. S’il est possible de vivre sans l’agrément de Névius ; s’il est une place parmi les citoyens pour celui que Névius n’y veut pas laisser ; s’il est permis à Publ. Quintius de respirer, contre la volonté souveraine de Névius ; si, protégé par votre justice, il peut défendre contre une insolente usurpation ce qu’il s’est procuré par une vie modeste, ce malheureux, cet infortuné peut espérer enfin la tranquillité et le repos. Mais si Névius peut tout ce qu’il voudra, et qu’il veuille tout ce que la justice réprouve, que reste-t-il à faire ? quel dieu faut-il invoquer ? de quel mortel implorer le secours ? quelles plaintes, quels gémissements pourront égaler une telle infortune ?

XXXI. Il est malheureux d’être dépouillé de tous ses biens ; plus malheureux de l’être injustement : il est affligeant d’être trompé ; plus affligeant de l’être par un de ses proches : c’est une calamité de perdre sa fortune ; c’en est une plus grande de perdre en même temps son honneur : il est cruel d’être égorgé par un adversaire courageux et honorable ; plus cruel de l’être par celui qui a prostitué sa voix à crier dans les encans ; on s’indigne d’être vaincu par un égal, ou un supérieur ; on s’indigne davantage de l’être par un rival abject et dégradé : il est déplorable d’être livré, avec tout ce qu’on possède, à la discrétion d’autrui ; plus déplorable de l’être à son ennemi : il est affreux d’avoir à plaider pour sa vie ; plus affreux de plaider avant son accusateur. Publius a jeté les yeux de tous côtés, essayé tous les moyens de salut ; il n’a pu trouver aucun préteur qui lui rendit justice, ou qui lui permît de faire valoir ses droits comme il lui convenait. Souvent il s’est jeté aux pieds des amis de Névius, et, longtemps prosterné devant eux, il les a suppliés, au nom des dieux immortels, ou d’employer avec lui les voies de la justice, ou, si l’injustice était ce qu’ils voulaient, de l’en accabler sans le flétrir. Il a subi jusqu’aux regards superbes de son cruel ennemi ; il a serré, les larmes aux yeux, cette main dont Névius trace, dans des actes barbares, la ruine de ses proches. Il l’a conjuré, par les liens qui l’unissent à la famille de Quintius, par le nom sacré de sa femme et de ses enfants, dont Publius est le plus proche parent, par la cendre inanimée de Caïus, d’ouvrir enfin son cœur à la pitié ; de voir en lui, sinon un allié, du moins un vieillard ; de respecter, sinon l’homme, du moins l’humanité ; de lui imposer toutes les conditions qu’il voudrait, mais de lui laisser l’honneur. Repoussé par Névius, dédaigné par ses amis, rebuté par tous les magistrats avec la dureté la plus effrayante, il n’a que vous désormais qu’il puisse implorer ; c’est à vous qu’il recommande sa personne, sa fortune, son existence ; il remet en vos mains son honneur et l’espoir des jours qu’il a encore à vivre. Abreuvé d’humiliations, poursuivi par l’injustice, ce n’est point un homme déshonoré, c’est un malheureux qui se jette entre vos bras. Chassé violemment d’un riche domaine, accablé des plus sanglants outrages, il a vu ce nouveau maître établi dans l’héritage de ses pères, tandis que lui-même ne pouvait former la dot de sa fille.