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dissez-en l’horreur, évaluez-les en argent, et vous verrez qu’elles n’ont été accumulées sur la tête d’un homme riche que pour intimider tous les autres par la perspective des mêmes dangers. D’abord, une assignation subite pour un crime capital et odieux : voyez ce que cela peut valoir, pensez combien de gens ont payé, afin de s’en préserver. Puis, une accusation sans dénonciation, un jugement sans tribunal, une condamnation sans procédure : fixez un tarif pour chacune de ces iniquités, et ne perdez pas de vue que, si Apollonius en a seul été victime, beaucoup d’autres sans doute s’en sont garantis en donnant de l’argent. Enfin les ténèbres, les fers, la prison, le secret, le supplice de ne voir plus ni ses parents ni ses enfants, de ne plus respirer un air pur, ni contempler la douce clarté des cieux… tous ces maux, si cruels qu’on s’en rachèterait au prix de la vie, je ne sais pas les évaluer en argent. Apollonius s’en est délivré bien tard, accablé déjà sous le poids de la douleur et des souffrances mais du moins il avait appris à ses concitoyens à prévenir l’avarice et la scélératesse du préteur. Car sans doute vous ne pensez pas qu’un homme très opulent ait été choisi, sans aucun motif d’intérêt, pour être l’objet d’une accusation aussi incroyable ; que sans aucun motif d’intérêt, il ait été soudainement remis en liberté ; ou qu’enfin Verrès ait exercé ce genre de vexation sur lui seul, sans vouloir que cet exemple fût une leçon pour tous les riches habitants de la Sicile.

X. Puisque je parle de ses talents militaires, je le prie de me rappeler les faits qui peuvent échapper à ma mémoire. Je crois avoir rapporté tout ce qui est relatif à cette prétendue fermentation des esclaves : du moins, je n’ai rien omis volontairement. Vous connaissez donc la prudence de notre préteur, son activité, sa vigilance, ses soins pour la défense de la province. Mais il est plusieurs classes de généraux : il importe que vous sachiez dans laquelle il doit être placé. Il ne faut pas que, dans un siècle aussi stérile en grands hommes, vous ignoriez plus longtemps le mérite d’un tel général. Vous ne retrouverez pas en lui la circonspection de Fabius, l’ardeur du premier des Scipions, la sagesse du second, l’exactitude et la sévérité de Paul-Émile, l’impétuosité et la valeur de Marius : son mérite est d’un autre genre, et vous allez sentir combien il est précieux, avec quel soin vous devez le conserver.

Les marches sont ce qu’il y a de plus pénible dans l’art militaire et de plus indispensable dans la Sicile : apprenez à quel point il a su, par une sage combinaison, les rendre faciles et agréables pour lui. D’abord, voici la ressource admirable qu’il s’était ménagée, pendant l’hiver, contre la rigueur du froid, contre la violence des tempêtes et les débordements des fleuves. Il avait choisi pour sa résidence la ville de Syracuse, dont la position est si heureuse et le ciel si pur, que, dans les temps les plus orageux, le soleil n’a jamais été un jour entier sans se montrer à ses heureux habitants. Cet excellent général y passait toute la saison, de manière que personne à peine ne pouvait l’apercevoir, je ne dis pas hors du palais, mais hors du lit. La courte durée du jour était donnée aux festins, et la longueur des nuits se consumait dans les dissolutions de la débauche la plus effrénée. Au printemps, et son printemps à lui ne datait pas du retour des zéphyrs ou de