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senter un acte de clémence comme un excès de mollesse, et de donner à la sévérité les couleurs odieuses de la cruauté. Ce langage ne sera pas le mien. Verrès, je souscrirai à vos jugements, je soutiendrai vos arrêts aussi longtemps que vous le voudrez. Mais du moment où vous aurez commencé vous-même à les enfreindre, ne trouvez pas mauvais que je ne les respecte plus ; car alors j’aurai droit de soutenir qu’un homme qui s’est condamné lui-même, ne peut être absous par les juges.

Ainsi donc, par respect pour votre jugement, je ne défendrai pas la cause d’Apollonius, mon hôte et mon ami ; je ne dirai rien de sa frugalité, de sa probité, de son exactitude à remplir ses devoirs ; je ne répéterai pas, ce que j’ai déjà dit, que sa fortune consistant en esclaves, en troupeaux, en métairies, en billets, un soulèvement ou une guerre en Sicile lui était plus préjudiciable qu’à tout autre. Je n’observerai pas même que, fût-il coupable, il fallait au moins l’entendre, et ne pas traiter avec cette dureté un des premiers citoyens d’une ville aussi distinguée. Je ne rendrai point votre personne odieuse, en apprenant aux juges que, tandis que cet homme respectable languissait dans la nuit des cachots, vos ordres tyranniques ont interdit à son père accablé de vieillesse, à son fils à peine dans l’adolescence, la liberté de mêler leurs larmes avec les siennes : je ne rappellerai pas même, qu’autant de fois que vous êtes venu à Palerme, pendant le reste de cette année et les six mois suivants (car Apollonius a été tout ce temps en prison), autant de fois le sénat de Palerme s’est présenté à vous avec les magistrats et les prêtres publics, pour vous prier, pour vous conjurer de mettre enfin un terme aux souffrances de ce citoyen malheureux et innocent. Si je voulais me prévaloir de tous ces faits, je montrerais sans peine que votre cruauté envers les autres vous a fermé tout accès à la pitié de vos juges.

IX. Je les supprimerai : aussi bien prévois-je déjà tout ce que doit répondre Hortensius. Il avouera que la vieillesse du père, que la jeunesse du fils, que les larmes de l’un et de l’autre ont eu moins de pouvoir sur Verrès que l’intérêt et le salut de la province. Il dira que la crainte et la sévérité sont nécessaires dans l’administration. Il demandera pourquoi ces faisceaux et ces haches qu’on porte devant les préteurs ? pourquoi on a construit des prisons ? pourquoi tant de supplices ont été décernés par les lois contre les coupables ? Après qu’il aura fait toutes ces questions d’une voix imposante et sévère, je demanderai à mon tour pourquoi tout à coup, sans information nouvelle, sans aucune procédure, sans motif quelconque, ce même Verrès a remis en liberté ce même Apollonius ? Cette conduite fait naître les soupçons les plus forts, et sans ajouter aucune réflexion, je laisserai les juges conjecturer eux-mêmes à quel point une telle extorsion est criminelle, à quel point elle est infâme, et quels profits immenses elle doit rapporter à celui qui l’exerce.

En effet, connaissez en peu de mots combien de vexations Apollonius a essuyées ; approfon-