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mander, quand même on aurait encore quelque doute, savoir, ce que vous avez reçu, de quelle manière vous avez été payé ? Je vous fais grâce de ces questions, je vous épargne le soin de répondre. En effet, à qui pourra-t-on persuader que vous ayez voulu commettre gratuitement un crime, dont nul autre que vous, à quelque prix que ce fût, n’aurait jamais osé se rendre coupable ? Mais je ne parle pas ici de vos talents pour le vol et le brigandage ; je n’examine que votre mérite militaire.

VI.' Répondez, gardien vigilant, zélé défenseur de la province : des esclaves ont été reconnus par vous coupables d’avoir voulu faire la guerre en Sicile ; vous les avez condamnés de l’avis de votre conseil : et ces esclaves, déjà conduits au supplice, déjà même attachés au poteau, vous osez les arracher à la mort et les mettre en liberté ! Ah ! cette croix dressée pour des esclaves condamnés, la réserviez-vous dès lors pour des citoyens, pour des Romains qui n’auraient pas été jugés ? Quand un État penche vers sa chute, et que ses maux sont à leur comble, voici les signes avant-coureurs de sa ruine et de sa destruction. Les condamnés sont rétablis, les prisonniers sont mis en liberté, les bannis rappelés, et les jugements annulés. Il n’est personne alors qui ne reconnaisse qu’une cité est perdue sans ressource ; personne qui ose conserver encore un reste d’espoir. Cependant, si cette violation de toutes les formes a eu lieu quelquefois, c’était pour affranchir de la mort ou de l’exil des nobles ou des hommes populaires ; ce n’étaient pas les juges eux-mêmes qui les délivraient ; ce n’était pas au moment où ils venaient d’être condamnés ; ils n’étaient pas coupables d’attentats qui missent en danger la vie et les biens de tous les citoyens. Ici le crime est d’une espèce nouvelle : pour le rendre croyable il faut en nommer l’auteur. Ceux qu’on délivre, sont des esclaves ; celui qui les délivre, est le juge qui les a condamnés ; c’est à l’instant du supplice ; et le forfait dont ils sont coupables menace la vie de tous les hommes libres. Admirable général ! non, ce n’est plus au brave Aquillius, c’est aux Paul-Émile, aux Scipion, aux Marius qu’il faut le comparer. Quelle prévoyance au milieu des dangers et des alarmes de la province ! Il voit que la guerre des esclaves en Italie va soulever les esclaves de la Sicile ; comme il a su les contenir par la terreur ! Il ordonne qu’on arrête les séditieux : tous ont dû trembler. Il cite les maîtres à son tribunal : quoi de plus effrayant pour les esclaves ? Il prononce que le crime lui paraît constant : c’est avec un peu de sang éteindre un incendie. Ensuite, les fouets, les lames ardentes, tout cet appareil de supplice pour les uns, de terreur pour les autres, les tortures, les croix. Il leur fait grâce de tout cela. Sans doute les esclaves durent tressaillir de frayeur, quand ils virent un préteur assez complaisant pour vendre, par l’entremise du bourreau lui-même, la grâce de ces hommes qu’il venait de condamner comme conspirateurs. Mais quoi ! vous êtes-vous conduit autrement avec Aristodamus d’Apollonie ? avec Léonte de Mégare ?

VII. Ce mouvement des esclaves, ces soupçons de révolte ont-ils enfin excité votre vigilance, ou plutôt n’ont-ils pas fourni de nouveaux prétextes à vos déprédations ? Euménidas d’Halicye, Sici-