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Il termine le plaidoyer entier par une apostrophe brillante et pathétique aux divinités dont Verrès à dépouillé les temples.


LIVRE CINQUIÈME.

DES SUPPLICES.

I. Juges, je ne vois personne parmi vous qui ne soit convaincu que Verrès a dépouillé ouvertement dans la Sicile tous les édifices, tant sacrés que profanes, tant publics que privés, et que, sans pudeur comme sans remords, il s’est rendu coupable de tous les genres de vol et de brigandage. Mais on m’annonce pour sa défense un moyen imposant, merveilleux, auquel je ne puis répondre qu’après avoir mûrement réfléchi. On se propose de prouver que, dans les circonstances les plus difficiles et les plus effrayantes, sa valeur et sa rare vigilance ont préservé la Sicile des dangers de la guerre et de la fureur des esclaves révoltés.

Que faire ? de quel côté diriger mes efforts ? À toutes mes attaques on oppose, comme un mur d’airain, le titre de grand général. Je connais ce lieu commun ; je vois la carrière qui s’ouvre à l’éloquence d’Hortensius. Il vous peindra les périls de la guerre et les malheurs de la république ; il parlera de la disette des bons généraux ; puis, implorant votre clémence, que dis-je ? réclamant votre justice, il vous conjurera de ne pas souffrir qu’un tel général soit sacrifié à des Siciliens, et de ne pas vouloir que de si beaux lauriers soient flétris par des allégations d’avarice.

Je ne peux le dissimuler, j’appréhende que ses talents militaires n’assurent à Verrès l’impunité de tous ses forfaits. Je me rappelle l’effet prodigieux que produisit le discours d’Antonius dans le procès d’Aquillius. Après avoir développé les moyens de sa cause, cet orateur, qui joignait à la plus pressante logique l’impétuosité des mouvements les plus passionnés, saisit lui-même Aquillius ; il l’offrit aux regards de l’assemblée, et lui déchirant sa tunique, il fit voir au peuple romain et aux juges les nobles cicatrices dont sa poitrine était couverte ; mais surtout il déploya toutes les forces de son éloquence, en leur montrant le coup terrible que le chef des rebelles avait frappé sur la tête de ce brave guerrier. Telle fut l’impression de ce discours sur tous ceux qui devaient prononcer dans la cause, qu’ils craignirent que la fortune, en arrachant ce généreux citoyen à la mort qu’il avait affrontée avec tant d’intrépidité, ne semblât avoir conservé une victime à la rigueur impitoyable des juges. Des adversaires veulent essayer aujourd’hui le même moyen : ils vont suivre la même marche ; ils tendent au même but. Que Verrès soit un brigand, qu’il soit un sacrilège, un monstre souillé de tous les crimes, flétri de tous les vices ; ils l’accordent. Mais, disent-ils, c’est un grand général, c’est un guerrier heureux, un héros qu’il faut réserver pour les besoins de la république.

II. Avec vous, Verrès, je ne procéderai pas à la rigueur : je ne dirai pas, quoique peut-être je m’en dusse tenir à ce seul point, que, l’objet de la cause étant déterminé par la loi, il ne s’agit pas de nous entretenir de vos exploits guerriers, mais qu’il faut prouver que vos mains sont pures. Non, ce n’est pas ainsi que je veux en user ;