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tré qu’il fallait, ou qu’une route de sept cents milles eût été parcourue en deux jours, ou que Névius eût envoyé des agents pour déposséder Publius, plusieurs jours avant de requérir du préteur l'autorisation de saisir. Ensuite j'ai lu l’édit qui défend, en propres termes, de chasser un propriétaire de son domaine ; et il est demeuré constant que Névius n’a point possédé d’après l'édit, puisque, de son aveu, Publius a été chassé de vive force. J’ai établi enfin que la saisie n’a pas été consommée, puisqu’elle doit embrasser, non une partie seulement, mais la totalité des biens qui peuvent être occupés et possédés. J’ai dit que Publius avait à Rome une maison, à laquelle Névius n’a pas même songé ; beaucoup d’esclaves dont il n’a pas saisi, dont il n’a pas touché un seul ; qu’ayant essayé de mettre la main sur l’un d’eux, il trouva de l’opposition et resta tranquille. Vous savez que dans la Gaule il n’est pas entré en possession des propriétés particulières de Publius ; et que, pour parler seulement du domaine dont il s’est emparé par l’expulsion violente de son associé, il n’en a pas chassé tous les esclaves qui appartenaient en propre à celui-ci : preuves évidentes, qui, approchées des autres paroles, des autres actions, des autres pensées de Névius, démontrent qu’il n’a jamais eu, et n’a encore aujourd’hui, d’autre but que d'usurper en entier, à force de violence, et en abusant des formes de la justice, une propriété commune.

XXX. Je finis, Aquillius ; mais la nature de la cause et la grandeur du danger forcent P. Quintius de vous supplier, vous et vos assesseurs, de vous conjurer, au nom de sa vieillesse et de l’abandon où vous le voyez, de n'écouter en ce moment que votre bonté naturelle. Il a pour lui la vérité, et il espère que sa détresse sera plus puissante pour exciter votre compassion, que le crédit de son adversaire pour armer votre rigueur. Du jour ou nous avons paru devant un juge tel que vous, nous avons commencé à braver leurs menaces, qui auparavant nous faisaient trembler. S’il ne s’était agi que de comparer entre elles les deux causes opposées, il ne nous eût pas été difficile de prouver la bonté de la nôtre à quelque juge que ce fût. Mais dès qu’on met dans la balance les deux manières de vivre, il nous était indispensable de vous avoir pour juge, Aquillius. Il s’agit, en effet, de décider si la sévère économie d’une vie simple et rustique pourra se défendre contre le luxe et la licence ; ou si elle doit être livrée nue, dégradée, dépouillée de tout ce qui faisait son ornement, aux outrages de l’insolence et de l’avarice. Publius ne compare pas son crédit au vôtre, Névius ; il ne vous dispute pas la supériorité des richesses et de l’opulence ; il vous abandonne tous les talents qui vous ont rendu grand. Il avoue qu’il ne possède pas comme vous le don de la parole ; qu’il ne sait point conformer son langage aux circonstances, ni passer de l’amitié malheureuse à une amitié nouvelle, mais triomphante ; qu’il ne vit point dans la profusion ; qu’il n’ordonne point un festin avec luxe et magnificence ; que sa maison n’est point fermée à l’honneur et à la vertu, ouverte ou plutôt prostituée à la cupidité et aux plaisirs ; que les devoirs de la société, la bonne foi, l’ordre, une vie dure et austère firent toujours