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la statue dont je rappelais le souvenir. Un gémissement général me fit voir qu’elle était un monument de ses forfaits, et non un hommage de leur reconnaissance. Chacun s’empresse de m’instruire des vols que j’ai cités plus haut. Ils me disent que Verrès a pillé la ville et dépouillé les temples ; qu’il a gardé pour lui la plus grande partie de l’héritage d’Héraclius, adjugé au gymnase ; qu’en effet, après avoir enlevé le dieu inventeur de l’huile, il ne pouvait pas prendre beaucoup d’intérêt aux exercices des lutteurs. Ils m’apprennent que sa statue n’a point été érigée par un décret public, mais par ceux qui ont partage avec lui l’héritage d’Héraclius ; que la députation a été composée de ces mêmes hommes, ministres de ses forfaits, complices de ses vols, compagnons de ses débauches ; que je ne dois pas être étonné qu’ils ne soient pas unis aux autres députés pour le salut de la Sicile.

LXIII. Dès que j’eus connu que leur ressentiment égalait, s’il ne surpassait même celui des autres Siciliens, je leur ouvris mon âme tout entière ; je leur développai le plan que je m’étais tracé. Je les exhortai à ne pas trahir la cause commune ; à rétracter cet éloge qu’ils disaient leur avoir été arraché quelques jours auparavant par la violence et la crainte. Que font alors les Syracusains, les clients, les amis de Verrès ? Ils m’apportent leurs registres, qu’ils tenaient cachés dans le lieu le plus secret de leurs archives ; ils me montrent l’état des objets que je vous ai dit avoir été enlevés par Verres, et de bien d’autres dont je n’ai pu vous parler. Le procès-verbal portait que tel ou tel objet manquait dans le temple de Minerve, tel autre dans le temple de Jupiter, tel autre dans celui de Bacchus ; et qu’en rendant leurs comptes, aux termes de la loi, chacun des hommes préposés à la garde de ces dépôts qu’ils devaient représenter, avait demandé à n’être pas inquiété pour les objets qui ne s’y trouvaient plus ; que tous avaient été déchargés et acquittés. J’eus soin de faire apposer le sceau de la ville sur ces registres, et je les fis emporter.

Quant à l’éloge décerné à Verrès, voici l’explication qui me fut donnée. Quelque temps avant que j’arrivasse, Verrès leur avait écrit à ce sujet. On ne prit aucun arrêté. Dans la suite, plusieurs de ses amis avaient essayé de renouer la négociation : ils furent repoussés par des cris et des huées. Au moment où j’allais arriver, celui qui était revêtu du pouvoir suprême leur avait enjoint de prendre un arrêté en faveur de Verrès. Ils avaient obéi, mais de manière que leur éloge devait lui faire plus de mal que de bien. C’est ce que je vais vous expliquer d’après ce qu’ils m’ont dit eux-mêmes.

LXIV. Lorsqu’on rapporte une affaire dans le sénat de Syracuse, celui qui veut parler prend la parole. On ne fait point l’appel : cependant les sénateurs qui l’emportent par l’âge ou la dignité, parlent ordinairement les premiers ; c’est une déférence qu’on a pour eux. Quelquefois tous gardent le silence : alors ceux que le sort désigne sont obligés d’ouvrir un avis. On fit donc un rapport sur Verrès. Quelques membres cherchèrent d’abord à gagner du temps par une motion incidente. Ils observèrent que Péducéus, qui avait très-bien mérité de Syracuse, ainsi que de toute