Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/314

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parmi lesquels étaient les portraits des rois et des tyrans de la Sicile, précieux aux habitants non seulement par la perfection du travail, mais par les traits et les souvenirs qu’ils leur rappelaient. Et voyez combien ce tyran des Syracusains était plus détestable que les tyrans ses prédécesseurs : ceux-ci du moins décorèrent les temples des immortels ; Verrès a enlevé les dieux et dépouillé les temples.

LVI. Que dirai-je des portes à deux battants de ce même temple de Minerve ? ceux qui ne les ont pas vues, m’accuseront de tout exagérer. Cependant une foule de citoyens du premier rang, et même plusieurs de nos juges, ont voyagé à Syracuse ; ils les ont vues : il leur serait très-facile de me convaincre d’impudence et de mensonge. Je parle sans passion, et j’affirme que jamais, dans aucun temple, il n’y eut de portes plus magnifiquement décorées en or et en ivoire. Vous ne croiriez jamais combien de Grecs en ont décrit la beauté. Peut-être leur enthousiasme et leurs éloges sont-ils outrés. Je le veux croire. Mais enfin le général qui dans la guerre a laissé aux peuples ces objets de leur admiration, a fait plus d’honneur à la république que le préteur qui les a tous enlevés pendant la paix. Ces portes étaient ornées de reliefs historiques, travaillés en ivoire avec un art infini. Verrés a détaché tous les reliefs, entre autres une superbe tête de Méduse, avec sa chevelure de serpents. Toutefois il s’est trahi lui-même ; il a montré qu’il n’était pas seulement séduit par la perfection de l’art, mais aussi par la richesse de la matière : car il fit arracher tous les clous d’or, qui étaient en grand nombre et fort pesants. Certes ils ne pouvaient lui plaire que par leur poids. Ainsi ces portes, autrefois superbe décoration d’un si bel édifice, ne servent plus aujourd’hui que pour la clôture du temple.

Des piques même, oui, des piques de frêne ont été enlevées. J’ai remarqué votre étonnement, citoyens, lorsque les témoins déposaient. En effet, elles étaient bonnes à voir une fois. Dénuées de tout ornement, elles n’avaient d’autre mérite que leur longueur. C’était assez d’en entendre parler : c’était trop de les voir deux fois. Cette chétive proie a-t-elle aussi excité vos désirs ?

LVII. Quant à cette Sapho que vous enlevâtes du prytanée, sa beauté est votre excuse ; et ce fait est bien pardonnable. Quel homme et même quel peuple devait plutôt que Verrès, le plus habile, le plus instruit des connaisseurs, posséder le chef-d’œuvre de Silanion, un ouvrage aussi délicat, et d’un travail aussi parfait ? Assurément, on ne peut rien objecter à cela. Nous qui ne sommes pas aussi fortunés que lui, et qui ne pouvons pas nous procurer les mêmes jouissances, si nous voulons voir quelqu’un de ces beaux ouvrages, allons au temple de la Félicité, au monument de Catulus, au portique de Métellus ; tâchons d’être admis dans les jardins de nos heureux privilégiés ; contemplons les décorations du forum, quand Verrès, voudra bien prêter aux édiles quelques-uns de ces morceaux précieux.