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que cette digression n’est pas tout à fait sans objet. Après qu’il se fut rendu maître de cette ville, si forte et si riche, il jugea que la destruction d’une aussi belle cité, surtout lorsqu’elle n’était plus a craindre, souillerait la gloire du peuple romain. Il épargna tous les édifices publics et privés, sacrés et profanes, comme s’il fût venu avec une armée, non pour les conquérir, mais pour les défendre. Quant aux ornements de la ville, il sut concilier les droits de la victoire avec les lois de l’humanité. Il pensa qu’il devait à la victoire de transporter à Rome beaucoup d’objets qui pouvaient décorer la capitale du monde, mais qu’en même temps il devait à l’humanité de ne pas entièrement dépouiller une ville qu’il avait résolu de conserver. L’égalité présida au partage, et la portion que la victoire assignait au peuple romain ne fut pas plus grande que celle que l’humanité réservait pour les Syracusains. Ce qui fut transporté a Rome, nous le voyons encore auprès du temple de l’Honneur et de la Vertu, et dans plusieurs autres lieux. Marcellus ne plaça rien dans ses maisons, dans ses jardins, dans ses campagnes : il pensa que, s’il n’emportait pas dans sa demeure les ornements destinés pour Rome, la simplicité même de sa maison serait le plus bel ornement de cette ville. Il laissa dans Syracuse une infinité de chefs-d’œuvre : surtout il ne toucha point aux dieux ; nul des dieux ne fut violé. Rapprochez maintenant la conduite de Verres ; je ne vous dis pas de comparer ensemble Verres et Marcellus ; ce serait outrager les mânes de ce grand homme. Mais enfin. Verrès a gouverné pendant la paix : il était le chef de la justice, le ministre des lois. Marcellus fit la guerre ; chargé de la vengeance nationale, ses moyens étaient le fer et les armes. Comparez l’arrivée et le cortège de Verrès a l’armée et à la victoire de Marcellus.

LV. Dans l’île est un temple de Minerve, dont j’ai parlé plus haut. Marcellus le respecta ; il y laissa tous les ornements. Verrès l’a dévasté, non en ennemi qui dans la guerre respecte encore les dieux et le droit des gens, mais en barbare, mais en pirate. Une suite de tableaux qui représentaient Agathocle livrant des combats de cavalerie, décorait les parois intérieures du temple. L’art n’a rien produit de plus beau ; Syracuse n’offrait rien de plus parfait à la curiosité des étrangers. Quoiqu’ils fussent devenus profanes par la victoire de Marcellus, ce guerrier ne vit en eux que des objets consacrés par la religion : il n’y toucha point, Une longue paix et la fidélité constante des Syracusains les rendaient saints et sacrés pour Verrès : Verrès les a tous enlevés. Ces murailles dont les ornements avaient survécu à tant de siècles, avaient échappé à tant de guerres, n’offrent plus aujourd’hui qu’une triste et honteuse nudité.

Marcellus, qui avait fait vœu d’élever deux temples dans Rome s’il prenait Syracuse, ne voulut point les décorer avec les dépouilles des ennemis. Verrès, qui adressait ses vœux non à l’Honneur et à la Vertu, mais à Vénus et à Cupidon, n’a pas craint de dépouiller le temple de Minerve. Le premier ne voulut point parer ses dieux aux dépens des dieux étrangers, le second a transporté les ornements de la chaste Minerve dans la maison d’une courtisane. Il a enlevé du même temple vingt-sept tableaux d’une grande beauté,