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sur vous, et sur tant de prétendus connaisseurs. C’est parce qu’il savait apprécier ces ouvrages, qu’il les jugeait dignes de servir, non au luxe des particuliers, mais à la décoration des temples et des villes, afin que la postérité les reçût comme des monuments consacrés par la religion.

LV. Juges, voulez-vous un trait unique de la cupidité de Verrès, de son audace, de son extravagance, et surtout de son mépris pour les objets sur lesquels nous ne pouvons ni porter les mains, ni même arrêter nos pensées, sans commettre un sacrilège ? Cérès est adorée à Catane avec le même respect qu’elle l’est à Rome et dans beaucoup d’autres lieux, pour ne pas dire, dans tout l’univers. Au fond du sanctuaire était une statue très-antique. Les hommes ne savaient pas quelle en était la forme ; ils n’en connaissaient pas même l’existence. L’entrée est interdite à tous les hommes ; les femmes sont les ministres de ce culte. Eh bien ! de ce temple saint et antique, la statue fut enlevée secrètement, pendant la nuit, par les esclaves de Verrès. Le lendemain, les prêtresses et les intendantes du temple, femmes respectables par leur âge, par leurs vertus et par leur naissance, portent leurs plaintes aux magistrats. Cet indigne attentat révolte tous les habitants. Effrayé des conséquences, et voulant détourner les soupçons. Verrès charge son hôte de chercher un homme qu’il puisse accuser et faire condamner, pour se mettre lui-même à l’abri des poursuites. L’hôte ne perd pas un moment. À peine Verrès est-il sorti de Catane, un esclave est dénoncé. L’accusation est admise ; de faux témoins sont produits. Le sénat en corps instruit le procès, suivant les lois du pays. On appelle les prêtresses ; on les interroge secrètement sur le fait, sur les circonstances du vol. Elles répondent que des esclaves du préteur ont été vus dans le temple : cette déposition éclaircit une affaire qui d’ailleurs n’était pas tres-obscure. On va aux opinions. L’esclave innocent est absous d’une voix unanime : et d’une voix unanime, vous condamnerez sans doute le coupable que je poursuis. Car enfin, que demandez-vous. Verrès ? quel est votre espoir ? quelle est votre attente ? qui des dieux ou des hommes voudra vous secourir ? Vous envoyez des esclaves pour dépouiller un temple, où les hommes libres n’ont pas le droit d’entrer, même pour prier ? vous portez les mains sur des objets que vos regards ne peuvent atteindre sans crime ? Et vous n’avez pas même été entraîné à cet horrible sacrilège par la séduction de vos yeux : vous avez convoité ce que vous n’aviez jamais vu ; vous vous êtes passionné pour une chose que vous n’aviez pas encore aperçue. C’est par les oreilles qu’est entrée dans votre âme cette cupidité que ni la crainte, ni la religion, ni la colère des dieux, ni l’indignation des hommes, n’ont pu réprimer. Sans doute un homme bien instruit vous en avait parlé ? Cela n’est pas possible : les hommes ne pouvaient ni l’avoir vue ni la connaître. C’était donc une femme ? Or, que penser de cette femme, citoyens ? quelle idée vous former de ses mœurs, puisqu’elle avait des entretiens avec Verrès ? de sa religion, puisqu’elle lui indiquait les moyens de dépouiller un temple ? Au reste, faut-il s’étonner qu’il se soit servi de l’adultère et de la débauche pour