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Tous les habitants, sans excepter même les vieillards, même les infirmes, se réveillent, se lèvent, s’arment de ce qu’ils rencontrent. En un instant, on accourt au temple de tous les quartiers de la ville. Déjà, depuis plus d’une heure, un grand nombre d’hommes travaillaient à détacher la statue ; mais quelques efforts qu’ils fissent, les uns pour la soulever avec des leviers, les autres pour l’entraîner avec des câbles attachés à chacun des membres, elle demeurait immobile. Tout à coup surviennent les Agrigentins : les pierres pleuvent de toutes parts ; l’armée nocturne de cet illustre général fuit et se disperse. Cependant, pour ne pas retourner les mains vides vers ce déprédateur des lieux sacrés, ils emportent deux petites statues. Dans les plus grands malheurs, les Siciliens trouvent toujours l’occasion de placer un bon mot : ils dirent alors que ce terrible pourceau méritait d’être compté parmi les travaux d’Hercule, aussi bien que le sanglier d’Érymanthe.

XLIV. Les habitants d’Assore, braves et fidèles, mais dont la ville est bien moins riche et moins peuplée, imitèrent cet acte de vigueur. Le fleuve Chrysas, qui traverse leur territoire, est le dieu du pays ; ils lui rendent le culte le plus solennel. Son temple est dans une campagne qui borde le chemin d’Assore à Enna : sa statue est de marbre et d’un travail achevé. Verrès n’osa pas leur demander l’objet d’une si grande vénération. Il chargea Tlépolème et Hiéron de l’enlever. Ceux-ci, à la tête d’une troupe armée, viennent de nuit fondre sur le temple ; ils brisent les portes : les gardiens et les officiers du temple s’en aperçoivent à temps ; ils sonnent de la trompette, signal connu de tout le voisinage : on accourt des campagnes. Tlépolème est chassé, mis en fuite ; il n’en coûta qu’une très-petite statue d’airain. Je ne puis dire qu’un mot de chaque délit. Je suis même obligé d’en omettre un grand nombre, afin d’arriver aux vols et aux crimes de ce genre qui ont plus d’éclat et d’importance. Chez les Enguiniens, est un temple de la mère des dieux. Ce même Scipion, cet homme supérieur dans tous les genres de mérite, y avait placé des cuirasses, des casques dont les ornements étaient en airain de Corinthe, de grandes urnes du même métal, et d’un travail aussi parfait. Le nom du héros était inscrit au bas de ces chefs-d’œuvre. Qu’est-il besoin de plus de paroles ? Verrès a tout enlevé. Il n’a laissé dans ce temple auguste que les traces du sacrilège, et le nom de Scipion. Les dépouilles des ennemis, les trophées de nos généraux, les décorations et les ornements des temples, dépouillés de leurs titres honorables, feront désormais partie du mobilier de Verrès. Vous seul apparemment êtes sensible à la beauté des vases corinthiens, et vous seul savez apprécier la composition de ce métal et la délicatesse du dessin ! Scipion n’en connaissait pas le mérite, Scipion, l’homme le plus instruit, le plus éclairé de son siècle ! et vous, homme grossier, sans instruction, sans talent, sans étude, vous possédez ce sentiment exquis ! Ah ! ce n’est pas seulement par son désintéressement, mais par son goût et son intelligence qu’il l’emportait