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famie. Toutefois j’ai tout prévu ; j’ai si bien pris mes mesures, que si un homme se rencontrait capable de se charger du crime de Verrès, il ne pourrait lui être d’aucune utilité. J’ai amené des témoins, j’ai apporté des pièces écrites qui ne laisseront aucun doute sur ce vol sacrilège. Les registres publics font foi que ce Mercure a été transporté à Messine aux frais de Tyndare : la somme est spécifiée ; que Poléa fut délégué pour surveiller cette opération ; où est-il ce Poléa ? le voici, c’est un de mes témoins ; que l’ordre fut donné par le proagore Sopater : ce Sopater est le même qui fut lié sur la statue ; il est aussi un de mes témoins ; vous l’avez vu et entendu. Démocrite, intendant du gymnase ou la statue était placée, fut chargé de la descendre ; et ce n’est pas moi, c’est lui-même ici présent qui déclare que tout récemment, à Rome, Verrès a offert de la rendre aux députés, s’ils voulaient se taire, et s’engager à ne pas déposer. Ce fait est attesté par Zosippe et Hisménias, qui tiennent le premier rang parmi leurs concitoyens.

XLIII. N’avez-vous pas enlevé aussi du temple d’Esculape, dans Agrigente, un autre monument du vainqueur de Carthage, un très-bel Apollon, sur la cuisse duquel le nom de Myron avait été gravé en petits caractères d’argent ? Ce vol, commis en secret par quelques scélérats auxquels le préteur avait confié l’exécution de cette entreprise sacrilège, souleva toute la ville. Les Agrigentins perdaient à la fois le bienfait de Scipion, l’objet de leur culte, l’ornement de leur ville, le monument d’une victoire, et le gage de leur alliance. Aussitôt les premiers magistrats enjoignirent aux questeurs et aux édiles de veiller la nuit autour des temples. Comme Agrigente est remplie d’hommes fermes et intrépides, et qu’une foule de nos citoyens, tous braves et pleins d’honneur, que le commerce a fixés dans ses murs, y vivent dans la meilleure intelligence avec les habitants. Verrès n’osait ni demander ni prendre ouvertement ce qui avait excité ses désirs.

Non loin du forum, s’élève un temple d’Hercule très-révéré dans ce pays ; la statue du dieu est en airain. Quoique j’aie vu beaucoup de chefs-d’œuvre en ce genre, je ne suis pas un grand connaisseur ; cependant j’ose dire que jamais rien de plus beau ne s’offrit à mes yeux. Les habitants ne se contentent pas de lui adresser leurs hommages ; mais dans leurs prières et leurs actions de grâces, ils lui donnent un si grand nombre de baisers, que la bouche et le menton sont usés. Pendant le séjour de Verrès dans Agrigente, Timarchide, à la tête d’une troupe d’esclaves armés vient attaquer le temple au milieu de la nuit. Les gardiens poussent un cri. Ils veulent résister ; ils sont maltraités et chassés à coups de massues et de bâtons. Les esclaves arrachent les barrières ; ils brisent les portes : ils essayent de soulever la statue et de l’ébranler avec des leviers. Cependant le cri des gardiens a jeté l’effroi dans la ville. Partout on répète que les dieux de la patrie sont attaqués, non par des ennemis ou des pirates descendus à l’improviste, mais par une horde de brigands de la suite du préteur, sortis armés du palais du magistrat romain.