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et vrai chef-d’œuvre de l’art. Transportée en Afrique, cette Diane n’avait fait que changer d’autel et d’adorateurs. Ses honneurs la suivirent dans ce nouveau séjour, et son incomparable beauté lui fit retrouver chez un peuple ennemi tous les hommages qu’elle recevait à Ségeste. Quelques siècles après, dans la troisième guerre Punique, P. Scipion se rendit maître de Carthage ; le vainqueur (remarquez l’active probité de ce héros : ce grand exemple de vertu dans un de vos citoyens sera pour vos cœurs une jouissance délicieuse, et vous en concevrez encore plus de haine contre l’audace incroyable de Verrès) ; Scipion, dis-je, rassembla tous les Siciliens. Il savait que, pendant longtemps et a diverses reprises, leur pays avait été dévasté par les Carthaginois : il ordonna les perquisitions les plus exactes, et promit de donner tous ses soins pour faire restituer a chaque ville ce qui lui avait appartenu. Alors les statues d’Himère, dont j’ai parlé ailleurs, furent reportées chez les Thermitains. Géla, Agrigente, recouvrèrent ce qu’elles avaient perdu, entre autres chefs-d’œuvre, ce taureau, instrument trop fameux des vengeances de Phalaris. On sait que le plus atroce de tous les tyrans allumait des feux sous les flancs de ce taureau, après y avoir enfermé les hommes que sa haine avait proscrits. En le rendant aux Agrigentins, Scipion leur dit qu’ils devaient sentir lequel était le plus avantageux pour les Siciliens, de vivre sous le joug de leurs compatriotes, ou d’obéir au peuple romain, puisque la présence de ce monument attestait à la fois et la cruauté de leurs tyrans et la douceur de notre république.

XXXIV. À cette même époque, la Diane dont je parle fut rendue aux Ségestains. Elle fut reportée à Ségeste et rétablie dans son premier séjour, au milieu des transports et des acclamations. Elle était posée sur un piédestal fort exhaussé, sur lequel on lisait ces mots en gros caractères : SCIPION L’AFRICAIN L’A RENDUE APRÈS LA PRISE DE CARTHAGE. Les citoyens l’honoraient d’un culte religieux ; les étrangers la visitaient ; c’est la première chose qu’on m’ait montrée à Ségeste, pendant ma questure. Malgré sa grandeur presque colossale, on distinguait les traits et le maintien d’une vierge ; vêtue d’une robe longue, un carquois sur l’épaule, elle tenait son arc de la main gauche, et de la droite elle présentait une torche allumée.

Dès que cet ennemi de tous les dieux, ce spoliateur de tous les autels, l’eut aperçue, aussitôt, comme si la déesse l’eût frappé de son flambeau, il s’enflamma pour elle et brûla du désir de la posséder. Il commande aux magistrats de l’enlever du piédestal, et de lui en faire don : rien au monde ne peut lui être plus agréable. Ceux-ci lui représentent qu’ils ne le peuvent sans crime ; que la religion et les lois le leur défendent. Verrès insiste ; il prie, menace, promet, s’emporte. On lui opposait le nom de Scipion ; on cherchait à lui faire entendre que ce qu’il demandait était un don du peuple romain ; que les Ségestains ne pouvaient rien sur une statue que le célèbre général qui