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XXVIII. Juges, redoublez d’attention : ce que je vais dire n’est point nouveau pour vous ; le peuple romain ne l’entendra point ici pour la première fois ; le bruit en est parvenu chez les nations étrangères, jusqu’aux extrémités du monde. Les princes dont je parle avaient apporté un candélabre enrichi des pierres les plus brillantes et d’un travail admirable. Leur dessein était de le placer dans le Capitole ; mais l’édifice n’étant pas achevé, ils ne purent y déposer leur offrande. D’un autre côté, ils ne voulaient pas livrer ce chef-d’œuvre à l’avidité des regards publics : ils étaient bien aises de lui ménager le mérite de la nouveauté ? pour le moment ou il serait placé dans le sanctuaire du maître des dieux, afin que le plaisir de la surprise ajoutât encore au sentiment de l’admiration. Ils prirent le parti de le remporter avec eux en Syrie, et d’attendre la dédicace du temple pour envoyer cette rare et magnifique offrande par les ambassadeurs chargés des autres présents. Verrès eut connaissance de ce candélabre, je ne sais par quelle voie, car le roi en faisait un secret ; non pas qu’il eût des craintes et des soupçons, mais il ne voulait pas que beaucoup de personnes fussent admises à le voir avant le peuple romain. Le préteur demande au roi et le prie avec instance de le lui envoyer ; il a le plus grand désir de le voir ; cette faveur sera pour lui seul.

Antiochus était jeune, il était roi, il ne soupçonna rien de sa perversité. Il ordonne à ses officiers d’envelopper le candélabre et de le porter au palais du préteur le plus secrètement possible. On apporte, on le découvre, on le place devant Verrès. Il s’écrie que c’est un présent digne du royaume de Syrie, digne du roi, digne du Capitole. En effet, ce candélabre étincelait du feu des pierres les plus éclatantes. La variété et la délicatesse du travail semblaient le disputer à la richesse de la matière ; et sa grandeur annonçait qu’on l’avait destiné, non à parer le palais d’un mortel, mais à décorer le temple le plus auguste de l’univers. Quand les officiers crurent que Verrès avait eu tout le temps de l’examiner, ils se mirent en devoir de le remporter. Il leur dit qu’il ne l’a pas assez vu, qu’il veut le voir encore ; il leur ordonne de se retirer et de laisser le candélabre ; ils retournent vers Antiochus, sans rien rapporter.

XXIX. D’abord le roi est sans inquiétude et sans défiance. Un jour, deux jours, plusieurs jours se passent, et le candélabre ne revient pas. Il envoie le redemander. Verrès remet au lendemain. Antiochus est étonné. Il envoie une seconde fois ; le candélabre n’est pas rendu. Il va lui-même trouver le préteur, et le prie de vouloir bien le rendre. Ici connaissez l’effronterie et l’impudence insigne du personnage. Il savait que ce chef-d’œuvre devait être placé dans le Capitole, qu’il était réservé pour Jupiter et pour le peuple romain. Il le savait, il l’avait appris du roi lui-même ; et il demande qu’il lui en fasse un don, et il insiste de la manière la plus pressante. Le prince s’en défend : le vœu qu’il a fait à Jupiter, le soin de son honneur, ne lui laissent pas la liberté d’en disposer. Plusieurs nations ont vu travailler à ce magnifique ouvrage : elles en connaissent la destination. Le préteur ne répond que par des menaces ; mais, voyant qu’elles ne réussissent pas mieux que les prières, il lui enjoint brusquement de sortir de la province avant la nuit. On