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mandait en Espagne, où il a été tué, il arriva qu’en s’exerçant aux armes, il brisa son anneau. Il voulait en avoir un autre ; il fit venir un orfèvre dans le forum, au pied de son tribunal, à Cordoue. Là, publiquement, il pesa l’or nécessaire, et commanda à l’ouvrier de s’établir sur la place et de faire l’anneau en présence du peuple. C’est, dit-on, porter le scrupule à l’excès. Le blâme qui voudra. Mais c’était Pison ; c’était le fils de celui qui, le premier, porta une loi contre les concussionnaires. Il est ridicule de nommer Verrès, après avoir cité le vertueux Pison. Cependant voyez le contraste : l’un se fait fabriquer des vases d’or en assez grand nombre pour couvrir plusieurs buffets, sans s’inquiéter de ce qu’on dira non-seulement en Sicile, mais même dans les tribunaux de Rome ; l’autre, pour une demi-once d’or, veut que toute l’Espagne sache d’où provient l’anneau du préteur. Le premier a justifié son nom ; le second s’est montré digne du surnom qui honore sa famille.

XXVI Dans l’impossibilité où je suis de rappeler à ma mémoire, et de rassembler, dans un seul discours, tous les crimes de Verrès, je tâche de vous donner en peu de mots une idée sommaire de chaque espèce de vol. En voici une, par exemple, que l’anneau de Pison me rappelle, et qui m’était entièrement échappée de l’esprit. Combien d’hommes honnêtes se sont vu arracher du doigt leurs anneaux d’or ! Il l’a fait sans scrupule toutes les fois qu’un anneau lui plaisait par sa forme ou par la beauté de la pierre. Je vais citer un fait incroyable, mais si notoire qu’il n’osera pas lui-même le démentir. Valentius, son secrétaire, avait reçu une lettre d’Agrigente ; par hasard il aperçoit sur la craie l’empreinte du cachet. Elle lui plaît : il demande d’où vient la lettre. On lui répond, d’Agrigente. Il écrit à ses agents qu’on lui apporte tout de suite ce cachet. Sur cet ordre, un père de famille, un citoyen romain, L. Titius, se voit enlever son anneau. Mais ce qui est vraiment inconcevable, c’est sa fureur pour les étoffes. Quand même il aurait eu dessein de placer dans chacune de ses salles à manger, soit à Rome, soit dans ses différentes campagnes, trente lits magnifiquement ornés, et toutes les autres décorations des festins, il n’aurait jamais pu employer ce qu’il amassait en ce genre. Il n’est pas de maison opulente, dans la Sicile, où il n’ait établi une fabrique.

À Ségeste est une femme distinguée par sa naissance et sa fortune. Durant trois ans, dans sa maison remplie de métiers, on fabriqua des tapis pour Verrès, et tous étaient en pourpre conchylienne. Il avait des commis dans toutes les villes :à Nétum, Attale, homme fort riche ; Lyson, à Lilybée ; Critolaus, à Enna ; à Syracuse, Eschrion, Cléomène, Théomnaste ; à Élore, Archonide, Mégiste. La voix me manquerait plus tôt que les noms. Mais, dira-t-on, il fournissait seulement la pourpre, et ses amis, la main d’œuvre. Je veux bien le croire : car enfin, il ne faut pas chercher des crimes partout. Eh ! ne suffit-il pas, pour que je l’accuse, qu’il ait été en état de fournir cette quantité de pourpre, qu’il ait projeté d’emporter tant de choses de la province, qu’il ait enfin, comme il en convient, employé les esclaves de ses amis à de tels ouvrages ? Et les lits de bronze, et les candélabres d’airain, pour quel autre en a t-on fabriqué dans Syracuse pendant trois années