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jettent un très-petit nombre de pièces ; et à mesure qu’ils approuvent, on détache les reliefs et les figures. Alors les Haluntiens retournèrent chez eux, leur argenterie débarrassée de toutes ces superfluités d’un luxe frivole.

XXIV. Quel fléau pour la province, et quel excès de déprédation ! On a vu des magistrats détourner en secret quelque somme du trésor public, quelquefois porter une main furtive sur les propriétés des citoyens ; et, malgré leurs précautions, ils étaient condamnés. S’il faut le dire, aux dépens de mon amour-propre, ceux qui les accusaient avaient besoin de talent pour suivre à la piste ces larcins ténébreux, et s’attacher a des traces légères. Mais lui, je trouve toutes les parties de son corps empreintes dans la fange ou il s’est roulé. Quel talent faut-il pour convaincre un homme qui, passant près d’une ville, fait arrêter un instant sa litière, et sans autre prestige que l’abus du pouvoir et la force d’un ordre tyrannique, dépouille ouvertement toutes les maisons de toute une cité ? Cependant il faut qu’il puisse dire : J’ai acheté. Il charge Archagathe de compter, pour la forme, quelques pièces de monnaie à ceux qu’il a dépouillés. Il en trouva fort peu qui voulussent accepter. Il les paya. Mais cet argent ne lui a pas encore été remis par Verrès. Il a voulu le lui demander à Rome ; et Lentulus Marcellinus lui a conseillé de n’en rien faire. Vous le voyez par sa déposition. Lisez les DÉPOSITIONS D’ARCHAGATHE ET DE LEXTULUS.

Ne croyez pas que cet homme ait accumulé sans motif ce nombre incroyable d’objets si précieux. Vous allez voir une preuve de son respect pour vous, pour l’opinion publique, pour les lois et les tribunaux, pour les Siciliens et nos Romains témoins de son impudence. Après qu’il eut rassemblé tous ces reliefs, et qu’il n’en resta plus un seul a personne, il établit un atelier immense à Syracuse, dans le palais des anciens rois, sous les yeux de tous les habitants. Il y rassembla tous les orfèvres, les graveurs, les ciseleurs de la province, sans compter ceux qui étaient a lui ; et le nombre en était grand. Cette multitude d’ouvriers travailla huit mois entiers, quoiqu’on les occupât seulement à des ouvrages en or. C’est alors que les ornements arrachés des plats et des cassolettes, furent appliqués à des coupes d’or avec tant d’adresse, incrustés avec tant de goût, qu’ils semblaient avoir été faits pour occuper cette place. Cependant ce préteur, qui veut qu’on fasse honneur à sa vigilance de la paix dont a joui la Sicile, passait la plus grande partie du jour assis dans son atelier, vêtu d’une tunique brune et d’un manteau grec.

XXV. Je n’oserais vous entretenir de tous ces détails, si je ne craignais pas qu’on ne me reprochât d’en avoir moins dit devant ce tribunal que chacun de vous n’en apprend dans les conversations particulières. En effet, qui n’a pas ouï parler de cet atelier, des vases d’or, du manteau grec et de la tunique brune ? Nommez qui vous voudrez de nos Romains établis a Syracuse, pourvu que ce soit un honnête homme : je l’interrogerai : il ne s’en trouvera pas un qui n’atteste avoir vu lui-même tout ce que je dis, ou l’avoir appris de témoins oculaires. que les temps sont changés ! Sans remonter à des époques éloignées, plusieurs de vous ont connu L. Pison, père de celui qui dernièrement a été préteur. Pendant qu’il com-