Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nécessairement condamné et par les registres qui sont produits, et par ceux qui ne le sont pas.

XVII. Dans cette même ville de Lilybée, vous avez pris à M. Célius, jeune chevalier romain du plus grand mérite, tout ce qui vous a plu dans son argenterie ; vous avez fait main basse surtout le mobilier de C. Cacurius, citoyen plein de talent, de connaissances, et généralement estimé ; aux yeux de tous les habitants, vous avez enlevé une grande et superbe table de citre à Lutatius Diodorus, que Sylla avait fait citoyen romain sur la recommandation de Catulus. Je ne vous reproche pas d’avoir dépouillé Apollonius de Drépane, fils de Nicon, et connu aujourd’hui sous le nom d’Aulus Clodius. Vous vous êtes approprié toute sa magnifique argenterie. Cet homme était digne de vous : je n’ai rien à dire ; lui-même ne songe pas à se plaindre. Il était perdu sans ressource, et prêt à se donner la mort ; lorsque vous partageâtes avec lui les dépouilles des pupilles de Drépane. Vous avez bien fait de ne pas le ménager : c’est la meilleure action de votre vie. Mais Lyson, un des premiers de sa ville, et qui vous avait logé chez lui, il ne fallait pas lui prendre sa statue d’Apollon. Vous prétendez l’avoir achetée : oui, mille sesterces ; je sais cela. Je produirai même les registres. Mais je dirai toujours qu’il ne le fallait pas faire. Et les gondoles ornées de reliefs, qui appartenaient au jeune Héius, ce pupille de Marcellus, à qui vous aviez déjà extorqué une grande somme d’argent, direz-vous les avoir achetées, ou convenez-vous de bonne foi les avoir volées ?

Mais pourquoi recueillir ces anecdotes communes, qui présentent partout une suite uniforme d’effets volés d’une part, et perdus de l’autre ? Voici un trait d’une espèce différente. Jusqu’ici vous n’avez vu que de la cupidité : vous allez voir de l’extravagance et même de la frénésie.

XVIII. Diodore de Malte, un des témoins que vous avez entendus, s’est fixé à Lilybée depuis plusieurs années. Distingué dans sa patrie, il a mérité par ses vertus l’estime et l’amitié de ses nouveaux concitoyens. Verrès apprit qu’il avait de très-beaux vases travaillés au tour, entre autres, deux coupes, de celles qu’on appelle Thériclées, ouvrages admirables de Mentor. À peine en fut-il instruit, impatient de les voir et de s’en emparer, il fait venir Diodore, et les lui demande. Celui-ci, qui n’était pas fâché de les avoir, répond qu’elles ne sont pas à Lilybée, qu’il les a laissées à Malte chez un parent. Sans perdre un moment, Verrès envoie à Malte des commissaires affidés ; il écrit à quelques habitants de lui chercher les vases ; il prie Diodore d’en écrire à ce parent : les moments lui semblent des siècles. Diodore, homme économe et attentif, était bien aise de conserver ce qui était à lui. Il mande à son parent de répondre aux agents de Verrès qu’il vient de foire partir ces coupes pour Lilybée. Cependant il s’éloigne, aimant mieux s’absenter pour quelque temps que de perdre, en restant chez lui, ce qu’il avait de plus précieux. À la nouvelle de sa retraite, le préteur devient furieux. Tout le monde le croyait dans un accès de folie et de démence. Parce qu’il n’avait pu saisir les vases de Diodore, il disait que Diodore lui volait