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jeux ; les lits étaient parés, l’argenterie exposée sur les buffets ; la maison, remplie d’une foule de citoyens distingués, tels qu’on doit les trouver chez un homme de ce rang. Verrès s’approche de l’argenterie. Il s’arrête à considérer, à examiner chaque pièce l’une après l’autre. Les uns admiraient cette maladresse imbécile, de venir, dans le cours d’un procès ou il était accusé d’une passion extrême pour ces sortes d’objets, aggraver encore et fortifier les soupçons contre lui-même. Les autres ne concevaient pas cette étrange apathie qui, à la veille du jugement, après tant de dépositions accablantes, lui permettait de s’occuper de ces bagatelles. Quant aux esclaves de Sisenna, instruits sans doute des dépositions faites contre lui, ils suivirent des yeux tous ses mouvements, et ne s’écartèrent pas un instant du buffet.

Un bon juge tire des inductions des plus petites choses. Un homme est accusé ; son arrêt sera prononcé dans trois jours ; s’il n’est pas encore condamné par le tribunal, il l’est déjà par l’opinion publique : et cet homme, devant une nombreuse assemblée, ne peut s’empêcher de toucher et d’examiner pièce à pièce l’argenterie de Sisenna ; est-il croyable que, dans son gouvernement, il ait pu être assez maître de lui, pour ne pas convoiter et ne pas prendre l’argenterie des Siciliens ?

XVI. Mais terminons cette digression, et revenons à Lilybée. Dans cette ville habite Diodes, surnommé Popillius, et gendre de Pamphile, de celui à qui Verrès enleva ce beau vase de Boëthus. Le préteur dégarnit chez lui le buffet tout entier, tel qu’il se trouvait. Il dira qu’il a acheté : car ici, vu l’importance de l’objet, il en a sans doute fait mention dans ses registres. Timarchide eut ordre d’en faire l’estimation. Mais on n’évalua jamais a si bas prix les bagatelles qu’on donne aux histrions à la fin des repas. Au reste, j’ai tort de m’étendre aussi longtemps sur vos achats prétendus, et de demander si vous avez acheté, comment et combien vous avez payé. Un mot suffit. Produisez un état de l’argenterie que vous avez acquise en Sicile, avec le nom des vendeurs et la somme qu’ils ont reçue. Avez-vous cet état ? Je ne devrais pas être obligé de vous le demander ; il conviendrait qu’il fût entre mes mains et produit par moi. Mais vous dites que pendant tout ce temps vous n’avez tenu aucun registre. Donnez du moins quelques éclaircissements sur l’article de l’argenterie. Pour le reste, nous verrons. Je n’ai rien écrit ; je ne puis rien produire. Que voulez-vous donc que fassent les juges ? Des avant votre préture, votre maison était remplie des plus belles statues ; vous en avez placé un grand nombre dans vos campagnes, déposé un grand nombre chez vos amis ; vous en avez donné beaucoup à d’autres : et vos registres n’indiquent aucun achat. Toute l’argenterie a disparu de la Sicile ; il n’y reste rien, absolument rien, qui soit de quelque prix ; et pour toute réponse, on me dit que le préteur a tout acheté ; et cette réponse, qui n’en est pas une, est démentie par les registres du préteur. Car, si vous en produisez quelques-uns, on n’y trouve ni le détail de ce que vous possédez, ni la manière dont vous l’avez acquis. Et pour tout le temps où vous placez la date de vos achats multipliés, vous dites que vous n’avez pas tenu de registres. Vous voilà donc