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encore que je réserve pour le moment même. Je ne veux pas leur donner le temps de méditer et de concerter leur parjure.

Que cet éloge unique, Verrès, vous tienne lieu de ceux qu’on vous refuse. Faites valoir le suffrage d’une ville qui ne devrait pas vous secourir, si elle le pouvait, et qui ne le pourra pas quoiqu’elle le veuille ; d’une ville où tant de citoyens ont essuyé de vous des injustices et des outrages sans nombre, où tant de familles ont été déshonorées à jamais par vos infâmes dissolutions. Mais vous avez rendu des services importants à la cité. Oui. Verrès, et ces importants services ont coûté cher à la république et à la Sicile. Les Mamertins devaient nous vendre soixante mille boisseaux de blé ; ils l’ont fait dans tous les temps. Vous seul les en avez dispensés ; et cela aux dépens de la république, privée par vous de l’exercice d’un droit de souveraineté ; aux dépens des Siciliens mêmes, puisque les soixante mille boisseaux n’ont pas été retranchés de la totalité du blé qu’ils doivent mais répartis sur Halèse et Centorbe, villes franches que vous avez ainsi taxées au-dessus de leurs moyens. Votre devoir était d’exiger un vaisseau des Mamertins : vous les en avez exemptés pendant trois ans, et pendant ces trois ans, vous ne leur avez pas demandé un seul homme de guerre. Vous avez fait ce que font les pirates : ennemis communs de tous les peuples ils se ménagent cependant quelques amis qu’ils épargnent, qu’ils enrichissent même d’une partie de leur butin ; ils ont soin de choisir ceux qui leur offrent un port sûr, et chez lesquels ils sont quelquefois obligés de chercher un asile.

X. Cette Phasélis qui fut prise par Servilius, n’avait pas toujours été un repaire de Ciliciens et de pirates ; c’était une colonie de Lyciens, peuple sorti de la Grèce. Comme cette ville s’avance beaucoup dans la mer, les pirates étaient souvent obligés d’y aborder, soit en sortant de leurs ports, soit en revenant de leurs courses. Ils se l’associèrent d’abord par le commerce, ensuite par un traité d’alliance. De même, avant la préture de Verrès, Messine n’était pas corrompue ; elle était même ennemie des méchants. Ce fut elle qui arrêta les équipages de C. Caton, d’un consulaire, d’un citoyen dont le nom et la puissance étaient si imposants. Sa dignité de proconsul ne put le soustraire aux lois : oui. Caton, petit-fils de Paul Émile et de Marcus Caton, neveu de Scipion l’Africain, fut condamné à restituer huit mille serterces[1] ; et les tribunaux étaient sévères alors. Ce fut au sujet d’une somme aussi modique que les Mamertins montrèrent cette animosité contre lui, eux qui depuis, ont souvent dépensé beaucoup plus pour un souper de Timarchide. Messine a été la Phasélis de ce brigand, de ce pirate sicilien. C’était là que s’entassaient les dépouilles de la province entière ; on les déposait chez eux. Ils mettaient à part, ils cachaient ce qu’il fallait dérober aux regards. C’étaient eux qui se chargeaient d’embarquer en secret, de transporter sans bruit ce qu’il voulait. C’est chez eux, enfin, qu’il a fait construire un très grand vaisseau, pour envoyer en Italie le fruit de ses déprédations. Pour prix de tant de soins, ils ont été pendant trois ans exemptés de contributions, de corvées, de service militaire, en un mot de toute charge publique. Eux seuls, dans toute la Si-

  1. 4,050 fr. G.