Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séduisantes n’auraient pu l’engager à vendre les monuments religieux qui lui ont été transmis par ses ancêtres.

VIII. Fuyez, Verrès, fuyez, et ne dites plus que Centorbe, Catane, Enna, Halèse, Tyndare, Agyre, et les autres villes de Sicile se sont liguées contre vous. Messine, votre seconde patrie, comme vous l’appellez vous-même ; oui, votre chère Messine, la complice de vos crimes, la confidente de vos débauches, l’entrepôt de vos larcins et de vos brigandages, vous attaque et vous poursuit. Nous voyons à cette audience le premier de ses citoyens, envoyé à cause de votre procès, chef de la députation chargée de vous louer. Il vous loue au nom de sa ville, parce qu’il en a reçu l’exprès commandement. Au surplus, vous vous rappelez, citoyens, ce qu’il répondit lorsqu’il fut interrogé sur le Cybée. Il vous dit que ce vaisseau a été construit par des ouvriers publics, aux frais de la cité, sous les yeux d’un sénateur chargé de présider à la construction. Aujourd’hui, ce même Héius implore votre justice comme simple particulier ; il invoque la loi qui, chez nos alliés, protège également les propriétés des villes et les fortunes des citoyens ; et quoique cette loi l’autorise à réclamer les biens qu’on lui a ravis, il en fait l’abandon ; cette perte n’est pas ce qui le touche le plus, il redemande les dieux de ses ancêtres, il réclame les dieux protecteurs de sa famille.

Ah, Verrès ! où est donc la pudeur, le respect de la religion, la crainte des lois ? Vous avez été reçu dans la maison d’Héius, vous l’avez vu presque tous les jours offrir des sacrifices sur les autels de ces mêmes dieux ! Il est insensible à la perte de son argent ; il abandonne ce qui n’était que pour la décoration. Gardez mes Canéphores, vous dit-il ; rendez-moi les images de mes dieux. Et parce qu’il s’est permis une juste réclamation, parce qu’un allié, un ami du peuple romain, a profité des circonstances pour faire entendre une plainte modérée, parce qu’il a obéi à sa conscience en redemandant les dieux de ses pères, en respectant la foi du serment, apprenez, citoyens, que Verrès a renvoyé à Messine un des membres de la députation celui même qui a présidé à la construction du vaisseau, pour demander au sénat que la conduite d’Héius fût censurée et blâmée.

IX. Homme insensé ! vous êtes-vous flatté d’obtenir un tel décret ? Ignoriez-vous le crédit et la considération dont jouit Héius parmi ses compatriotes ? Supposons que vous l’eussiez obtenu ; supposons que les Mamertins eussent décerné quelque peine contre lui, de quel poids serait leur témoignage si l’on était puni chez eux pour avoir dit la vérité ? Au surplus, que penser d’un éloge, quand les panégyristes deviennent accusateurs aussitôt qu’on les interroge ? Or, Verrès ; vos panégyristes ne sont-ils pas mes témoins ? Héius vous loue, et c’est lui qui vous a fait le plus de mal. J’interrogerai aussi les autres : ils seront discrets ; je dois m’y attendre. Ils ne révéleront rien de ce qu’ils pourront taire ; mais il faudra bien qu’ils avouent ce qu’il est impossible de nier. Nieront-ils qu’un vaisseau ait été construit à Messine pour Verrès ? qu’ils le nient s’ils l’osent. Nieront-ils qu’un sénateur de Messine ait présidé à la construction ? puissent-ils avoir cette impudence ! J’ai d’autres questions