Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puisque enfin telle doit être ton unique réponse à toute cette partie de mon accusation. Quelle étrange idée avais-tu donc conçue des tribunaux de Rome, si tu pensais qu’on pardonnerait à un préteur, à un homme revêtu du pouvoir suprême d’avoir acheté tant d’effets d’une si haute valeur, en un mot, tout ce qu’il y avait de précieux dans toute la province ?

V. Admirez, citoyens, l’attention scrupuleuse de nos ancêtres : assurément l’idée de pareils excès était bien loin de leur esprit ; toutefois leur prévoyance s’étendait sur les détails les plus minutieux. Ils n’imaginèrent pas qu’un préteur, qu’un lieutenant, envoyés dans une province, fussent jamais tentés d’y acheter de l’argenterie : la république leur en donnait ; des ameublements : les lois y avaient pourvu. Mais ils pensèrent qu’ils pourraient acheter des esclaves : il en faut à tout le monde, et l’État n’en fournit pas. Ils leur interdirent, par une loi ; l’achat d’aucun esclave si ce n’était afin d’en remplacer un qui serait mort, non pas à Rome, mais dans le lieu même de leur résidence ; car ils n’ont pas voulu qu’un préteur allât monter sa maison dans sa province, mais que seulement il pût réparer la perte d’un de ces objets qui sont d’un usage journalier. Et pourquoi nous interdire avec tant de précaution tout achat dans nos provinces ? C’est qu’ils pensaient qu’un achat n’est qu’une extorsion, toutes les fois que le vendeur n’est pas libre ; c’est qu’ils sentaient que si un homme, armé de l’autorité civile et militaire, avait la volonté et le droit de tout acheter, il enlèverait tout ce qui serait à son goût, au prix qu’il le voudrait, la chose fût-elle à vendre ou non. Mais me dit-on, c’est agir avec trop de rigueur ; ne jugez pas la conduite de Verrès sur les principes austères de nos ancêtres ; pardonnez-lui d’avoir acheté, pourvu qu’il l’ait fait de bonne foi, sans abus d’autorité, sans contrainte, sans lésion. Je le veux bien : si Héius a voulu vendre, et s’il a reçu le prix qu’il désirait, je ne demande plus pourquoi vous avez acheté.

VI. Ici les raisonnements deviennent superflus. Tout se réduit, je pense, à ces questions : Héius a-t-il eu des dettes ? Héius a-t-il mis ses effets en vente ? Et s’il l’a fait, s’est-il trouvé dans une détresse assez grande, dans une situation assez fâcheuse pour être contraint de dépouiller son oratoire et de vendre les dieux de ses pères ? Or, je vois qu’Héius n’a fait aucune vente de ses biens, qu’il n’a jamais vendu que les fruits de ses terres : que loin qu’il ait des dettes, ses coffres sont aujourd’hui, comme ils l’ont toujours été, remplis d’argent ; je vois qu’en supposant le contraire de tout ce que je dis, il était incapable de vendre des monuments sacrés qui, depuis tant d’années, étaient dans la famille et dans l’oratoire de ses ancêtres... Mais on l’a séduit peut-être par une forte somme... Non, citoyens, il n’est pas vraisemblable que cet homme si riche, si honnête, eût sacrifié à une somme quelconque ses dieux et les monuments de ses pères... Oui mais l’argent, l’argent quelquefois nous entraîne bien loin de nos principes. - Voyons-la donc cette somme prodigieuse qui a pu éblouir Héius, un des hommes les plus riches et les moins intéressés, au point de lui faire oublier les sentiments de l’honneur, de la piété filiale, et de la religion. Voici ce qu’il a écrit lui-même sur ses registres, sans doute par votre ordre : Toutes ces statues de