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mains. On les appelait Canéphores. L’artiste qui les avait faites était… son nom m’échappe… Vous avez raison : c’était Polyclète. Nos Romains, en arrivant à Messine, s’empressaient de visiter l’oratoire d’Héius : il était ouvert à tout le monde ; on le voyait tous les jours. Cette maison ne faisait pas moins d’honneur à la ville qu’au propriétaire lui-même.

C. Claudius, qui signala son édilité par la magnificence de ses fêtes, emprunta ce Cupidon pour tout le temps qu’il fit décorer le forum en l’honneur des dieux et du peuple romain ; et ce magistrat, lié avec les Héius par les nœuds de l’hospitalité protecteur de la ville de Messine, ne fut pas moins exact à le rendre qu’ils n’avaient été empressés à le prêter. Dans ces derniers temps, que dis-je ? ces jours mêmes, nous avons vu d’autres nobles encore décorer le forum et les basiliques qui l’entourent, non pas avec les dépouilles des provinces et les trophées du brigandage, mais avec des ornements prêtés par des amis, ou confiés par des hôtes : et ces effets précieux, ils les ont rendus avec fidélité ; ils ne les ont point transportés dans leurs palais et dans leurs campagnes, après les avoir empruntés à nos alliés pour les fêtes de leur édilité. Mais les statues dont j’ai parlé, Verrès les a enlevées toutes les quatre de l’oratoire d’Héius, et même il a fait main basse sur les autres sans en laisser une seule, à la réserve pourtant d’une vieille figure en bois qui représentait, je crois, la Bonne fortune, dont il ne voulut pas chez lui.

IV. Ô justice des dieux et des hommes ! quelle cause monstrueuse ! quel excès d’impudence ! Avant qu’il eût enlevé ces statues, tous les magistrats qui étaient entrés dans Messine les avaient vues comme lui. De tant de préteurs et de consuls envoyés en Sicile, et dans la paix et même dans la guerre, de tant de gouverneurs de tous les caractères, je ne parle pas des magistrats vertueux, intègres, scrupuleux, mais enfin de tant d’hommes cupides, prévaricateurs, audacieux, nul n’a jamais assez présumé de sa hardiesse, de son pouvoir, de sa noblesse, pour oser demander, enlever, toucher rien de ce qui décorait cet oratoire : et Verrès saisira ce qu’il y a de plus beau, en quelque lieu qu’il le trouve ! Nul autre n’aura droit de rien posséder ! Les richesses de tant de maisons opulentes iront se confondre dans la maison du seul Verrès ! Quand ses prédécesseurs ont respecté ces chefs-d’œuvre, c’était donc pour qu’il les ravît ? Lorsque Claudius Pulcher les a fidèlement restitués, c’était donc pour que Verrès en fît sa proie ? Mais ce Cupidon ne cherchait pas une maison de débauche, une école de prostitution : il se plaisait dans cette chapelle héréditaire. Transmis a Héius avec les autres dieux de cette vertueuse famille, il ne demandait pas a passer chez l’héritier d’une courtisane.

J’ai tort de m’emporter. Un seul mot va me réduire au silence. J’ai acheté, dit Verrès. Ô dieux ! quelle excuse ! Ainsi nous avons envoyé en Sicile un marchand avec tout l’appareil de l’autorité, pour acheter indistinctement les statues, les tableaux, l’argenterie, l’or, l’ivoire, les pierreries qui se trouveraient dans la province. Car je vois qu’à tous mes griefs on n’opposera que ce seul mot : Il a acheté. Je le suppose pour un moment,