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SECONDE ACTION CONTRE VERRÈS.

DISCOURS NEUVIÈME.


ARGUMENT.

Le quatrième Discours contre Verrès, qui a pour objet les vols faits par celui-ci en Sicile, a reçu le titre de Oratio de Signis, la plupart des objets volés étant des statues.

La première phrase du Discours intitulé In Verrem de Signis, n’est qu’une simple transition : Cicéron passe, de la troisième division de son plaidoyer contre Verrès, à la quatrième, où il va s’occuper des vols et des pillages que le préteur a commis en Sicile.

L’orateur annonce son sujet par une proposition générale, qui l’embrasse tout entier, et, comme s’il craignait de n’être pas assez clair ni assez précis, il la développe encore en d’autres termes, protestant aux juges qu’il ne parle point en accusateur, et qu’il ne se permet aucune exagération. Il présente donc Verrès comme un brigand qui a ravi aux habitants de la Sicile ce qu’ils pouvaient avoir d’effets précieux, sans en laisser un seul à qui que ce soit. Ensuite, il entre dans les détails. Il retrace successivement chacun des vols dont le préteur s’est rendu coupable. Ce Discours ne contient donc qu’une suite de narrations indépendantes les unes des autres, ayant toutes leur exorde, leur confirmation et leur péroraison.

Rien de si simple qu’une telle méthode, rien de si uniforme qu’un tel plan. Mais ce qu’un ne saurait trop admirer dans cette longue suite de récits, qui sembleraient devoir dégénérer en une monotonie fatigante, par le retour sans cesse répété des mêmes genres de crimes, c’est l’incroyable variété que le génie de l’orateur a eu l’art de répandre dans chacune de ces narrations. Jamais on n’a su décrire et peindre une foule d’objets de la même nature, avec des traits plus vrais, plus variés, plus énergiques ; et ces traits expriment non seulement les choses, mais les caractères.

Il ne présente point les faits au hasard et sans un dessein réfléchi ; sa marche est habilement calculée, et il les a classés dans l’ordre le plus propre à augmenter l’intérêt. Il parle d’abord des vols dont les individus ont été victimes, et de là il passe à l’enlèvement des propriétés publiques, au pillage des temples, à la dévastation des monuments consacrés, soit à la gloire du peuple romain, soit à la religion des habitants de la Sicile.

L’orateur excite l’attention, il pique la curiosité, et toujours il intéresse. Vent-il ensuite faire sentir l’énormité d’un crime, avec quel art il l’analyse et le décompose ! Il ne l’abandonne qu’après en avoir exprimé, pour ainsi dire, tout l’odieux qu’il renferme. S’il réfute les excuses et les réponses de Verrès, la justesse des raisonnements est toujours fortifiée par l’énergie du langage et l’éloquence des pensées ; et en même temps qu’il excite l’indignation contre la cupidité du préteur, il livre au mépris sa grossièreté et son ignorance. Tour à tour il le frappe des traits perçants du ridicule, et l’accable sous le poids des preuves les plus imposantes.

On distingue dans ce Discours onze articles ou griefs qui forment autant de narrations particulières. Toutes ont le degré de perfection et de beauté dont elles sont susceptibles. Chacune a son caractère propre et le ton de couleur qui lui convient. C’est une galerie où tout est heureusement diversifié. Mais il est des tableaux qui prêtent plus au génie de l’artiste et à la hardiesse de son pinceau. Les sujets en sont grands et riches ; ils offrent un plus beau spectacle. Tels sont le trait de ce candélabre d’or, enrichi de pierreries, que Verrés vola au roi Antiochus, l’enlèvement de la statue de Diane à Ségeste, du Mercure de Tyndare, de la Cérès d’Enna, et la comparaison établie entre Marcellus et Verrès.


LIVRE QUATRIÈME.

DES STATUES.

I. Je vais parler de ce que Verrès appelle son goût ; ses amis disent sa maladie, sa manie ; les Siciliens, son brigandage : moi, je ne sais de quelle expression me servir. Je vous exposerai la chose ; c’est à vous d’en juger par ce qu’elle est, sans vous arrêter au nom qu’on lui donne. Prenez-en d’abord une idée générale, et peut-être n’aurez-vous pas beaucoup de peine à trouver le mot juste.

Je nie que dans la Sicile entière, cette province si riche, si ancienne, peuplée de tant de cités et de familles si opulentes, il ait existé un seul vase, soit d’argent, soit de métal de Corinthe ou de