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nels ; car si c’est un crime d’exiger de l’argent contre les lois, ce serait une sottise de s’interdire ce qui est déclaré légitime. Voyez enfin, Romains, quelle énorme licence vous allez donner à la cupidité des magistrats ! Si celui qui a exigé douze sesterces est absous, un autre exigera le double, le triple, le quadruple : pourra-t-on le blâmer ? À quel degré de la vexation le juge opposera-t-il la rigueur de sa sentence ? quelle est la somme qui cessera enfin d’être tolérable, et pour laquelle on se déterminera à condamner l’injustice et la mauvaise foi de l’estimation ? Car ce n’est point la somme, mais l’estimation en elle-même, que vous aurez approuvée ; et vous ne pouvez décider que la loi permet d’estimer à douze sesterces, et non pas à quarante. Que la chose ne soit point fixée par le prix du blé et selon le désir des cultivateurs, mais abandonnée au caprice du magistrat, alors ce ne sera plus la raison et la loi, mais la fantaisie et la cupidité qui régleront l’estimation.

XCV. Si donc votre jugement franchit les principes de l’équité et les règlements de la loi, sachez que, pour l’estimation, vous ne laisserez plus de bornes à l’injustice et à la cupidité. Voyez, d’après cela, combien de choses on vous demande à la fois. Renvoyez absous celui qui confesse avoir pris injustement aux alliés des sommes immenses. Ce n’est point assez. Il en est beaucoup d’autres qui se sont permis cette concussion : renvoyez encore absous ceux qui auront commis le même délit ; et, par un seul jugement, vous déchargerez une foule de coupables. Cela même ne suffit point. Faites qu’à l’avenir la même conduite dans les autres soit reconnue légitime, elle sera légitime. C’est encore trop peu. Décidez que la loi abandonne l’estimation à la volonté des préteurs, ils useront de ce droit. Assurément, Romains, l’estimation de Verrès approuvée, il n’y aura plus, à l’avenir, ni limites pour la cupidité, ni châtiment pour la malversation. À quoi pensez-vous donc, Hortensius ? Vous êtes désigné consul ; le sort vous a donné une province : lorsque vous parlerez de l’estimation du blé, nous croirons, si vous justifiez la conduite de Verrès, que vous vous annoncez comme devant vous conduire de même ; vous nous paraîtrez désirer ardemment que la loi vous permette ce que vous direz avoir été permis à Verrès. Mais si la loi le permet, croyez-vous, Romains, que personne puisse être condamné jamais pour crime de concussion ? Quelque somme que l’on convoite, on pourra l’obtenir légitimement, sous prétexte des provisions de sa maison dont on portera très haut l’estimation.

XCVI. Il est une chose que ne dit pas ouvertement Hortensius en défendant Verrès, mais qu’il nous laisse entendre et soupçonner : c’est que cette accusation touche les sénateurs, touche ceux qui occupent les tribunaux, et qui peuvent espérer qu’un jour ils commanderont dans les provinces en qualité de proconsuls, de préteurs ou de lieutenants. Certes, Hortensius, vous avez une grande idée de nos juges, si vous pensez qu’ils pardonneront aux autres leurs prévarications, pour se procurer à eux-mêmes la facilité d’en commettre. Nous voulons donc apprendre au peuple romain, aux provinces, aux alliés, aux nations étrangères, que si les sénateurs occupent les tribunaux, cette manière d’ex-