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drai encore dans ce tribunal. J’en appelle à vous, C. Marcellus. Vous avez gouverné la province de Sicile en qualité de proconsul. Sous votre gouvernement, s’est-on servi, pour lever des sommes d’argent, du même prétexte que Verrès ? Je ne vous en fais point un mérite : il existe de vous d’autres actions et d’autres entreprises dignes des plus grands éloges, et qui ont ranimé, relevé tout à coup cette province abattue et ruinée. Lépidus même, auquel vous avez succédé, n’avait pas plus que vous abusé de ce droit. De quels exemples en Sicile vous appuyez-vous donc, Hortensius, si vous ne pouvez justifier cette exaction par la conduite de Marcellus, ni même par celle de Lépidus ?

Me citerez-vous l’estimation du blé faite par M. Antonius, et ses exactions d’argent ? Oui, dit Hortensius, je vous cite M. Antonius ; car il me le fait entendre par un signe de tête. Parmi tous les préteurs, proconsuls et généraux du peuple romain, avez-vous donc choisi, Verrès, M. Antonius ? avez-vous choisi, pour le copier, le trait de sa vie le plus criminel ? M’est-il difficile de dire et aux juges de croire qu’Antonius, dans son commandement illimité, s’est conduit de telle sorte, qu’il est bien plus dangereux pour l’accusé de dire qu’il a voulu le copier dans sa plus mauvaise action, que s’il pouvait soutenir qu’il ne lui a ressemblé dans aucune partie de sa vie ? Devant les juges, on cite communément pour sa propre justification, non pas en général ce qu’a fait un autre, mais ce qu’il a fait de bien. Antonius avait entrepris et médité beaucoup de choses contre le salut des alliés, contre l’utilité des provinces ; la mort l’a enlevé au milieu de ses injustices et de ses projets. Et vous, Hortensius, comme si le sénat et le peuple romain eussent approuvé toutes les opérations d’Antonius, vous alléguez son exemple pour justifier l’audace de Verrès !

XCII. Mais Sacerdos a fait de même. Vous citez là un homme intègre, un homme d’une haute sagesse. On doit croire qu’il a fait de même, s’il a agi dans les mêmes intentions. Non, je n’ai jamais blâmé l’estimation en elle-même : c’est d’après l’avantage et le désir des cultivateurs qu’il faut en peser la justice. On ne peut blâmer une estimation qui, loin d’être désavantageuse, est agréable au cultivateur. Lorsque Sacerdos fut arrivé dans sa province, il exigea du blé pour la provision de sa maison. Le boisseau de blé, avant la moisson, était à vingt sesterces ; les villes le prièrent d’estimer son blé lui-même. Il porta son estimation moins haut que le prix courant ; il ne la porta qu’à douze sesterces. Vous le voyez, Verrès, la même estimation, vu la différence des temps, doit être louée dans Sacerdos, et blâmée dans vous : chez lui c’était un bienfait, chez vous, une exaction. La même année, Antonius estima son blé douze sesterces, après la moisson, lorsque le blé était au plus bas prix, lorsque les agriculteurs auraient mieux aimé lui fournir son blé gratuitement. Il prétendait l’avoir estimé autant que Sacerdos, et il ne mentait pas ; mais, par la même estimation, l’un avait soulagé, et l’autre ruiné les laboureurs. Si le temps ne réglait pas l’estimation du blé, si on ne devait pas en considérer le prix d’après l’abondance ou la stérilité de la récolte, et non d’après la quantité de boisseaux, vos distributions de blé, Hortensius, n’au-