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moi huit sesterces pour chaque boisseau que j’exige de vous. — Y a-t-il de la raison ? — Que me parlez-vous de raison ? Ce n’est pas la raison que je cherche, mais mon profit et mon intérêt. — Parlez, parlez sérieusement, dit le cultivateur. — Le sénat veut que vous me donniez de l’argent, et que je vous mesure du blé. Et vous, vous garderez l’argent que le sénat vous a remis pour moi, et vous me prendrez huit sesterces lorsque vous deviez m’en donner quatre ! ce pillage et cette rapine, vous l’appellerez provision de votre maison ! Il ne manquait plus, Verrès, aux laboureurs, sous votre préture, que cette vexation et cette calamité pour consommer leur ruine. En effet, que pouvait-il rester à un malheureux, qui par là se voyait réduit à perdre tout son grain, et même à vendre tous ses instruments de labourage ? Pouvait-il savoir quel parti prendre ? Sur quelle récolte pouvait-il trouver de l’argent pour vous en donner ? Sous prétexte de dîmes, on lui avait enlevé tout ce qu’Apronius avait demandé ; pour une seconde dîme qu’il se trouvait obligé de vendre, on ne lui avait rien donné absolument, ou on ne lui avait donné que les restes du greffier ; on lui avait même, comme je l’ai fait voir, enlevé de son bien sans aucun prétexte. Et l’on exigera encore de l’argent du laboureur ! Comment ? de quel droit ? d’après quel usage ?

LXXXVI. Lorsque les récoltes des agriculteurs étaient pillées, anéanties par toutes sortes de vexations, le cultivateur d’un champ ne semblait perdre que ce qu’il avait gagné par sa charrue, le fruit de son labeur, le produit de ses terres et de ses moissons. Au milieu de ces affreuses calamités, il lui restait du moins cette triste consolation, que les pertes qu’il faisait, le même champ, sous un autre préteur, lui fournirait de quoi les réparer. Mais pour qu’il donne un argent que ne lui procurent point ses bras et sa charrue, il faut nécessairement qu’il vende ses bœufs, sa charrue même et tous ses instruments de labourage. En effet, juges, vous ne devez pas vous dire : Il a de l’argent dans ses coffres, il a des maisons. Lorsqu’on impose une charge au cultivateur d’une terre, on ne doit pas considérer les facultés qu’il peut avoir d’ailleurs, mais le produit de la culture elle-même, mais les charges que cette terre peut et doit supporter. Quoique les plus riches agriculteurs aient été épuisés et ruinés de toutes les manières par Verrès, vous devez néanmoins régler ce que le cultivateur, pour le fait même de la culture, doit porter et acquitter de charges dans la république. Vous leur imposez une dîme, ils le souffrent ; une seconde dîme, ils croient devoir subvenir à vos besoins ; vous exigez de plus qu’ils vendent des grains à l’État ; ils les vendront, si vous le voulez. L’administration de vos biens de campagne suffit, je pense, pour vous faire juger combien ces charges sont onéreuses, et ce qui peut revenir net aux propriétaires lorsque tout est acquitté. Ajoutez-y maintenant les édits de Verrès, ses règlements, ses vexations ; ajoutez-y la tyrannie et les rapines d’Apronius et des esclaves de Vénus dans les terres sujettes aux dîmes. Mais je laisse toutes ces exactions, je ne parle que des provisions de la maison. Voulez-vous que les Siciliens fournissent gratuitement le blé pour la maison de nos magistrats ? Qu’y a-t-il de plus odieux, de plus tyrannique ? Eh bien ! sachez que les agriculteurs